Carp… now and them, 1988. Rod Hutchinson

Carp… now and them est l’histoire d’un tournant, et son évocation sera pour nous l’occasion de conclure cette série d’articles. Car Carp… now and them est plus exactement la description d’un changement de focale. Peu avant la rédaction de ce texte, une conférence à Wembley avait réuni différents représentants de six pays où s’était d’ores et déjà répandue la pêche de la carpe, comme la France ou l’Autriche : l’Angleterre n’était donc plus la seule, et de fait, le centre de gravité se déplaçait vers le continent. A ce changement d’échelle coïncide donc un changement de mœurs : au tirage limité du premier livre de Hutchinson pour quelques happy few collectionneurs, succède dont une sorte de trahison des mystères, de dévoilement des secrets anglais au plus grand nombre. Et si nous allons voir que si le différend idéologique entre Maddocks et Hutchinson est toujours là (et deviendra un différentiel au sein de la pratique instituée de chaque carpiste), la problématique qui agitait cette opposition va devenir peu à peu hors-sujet…

Pour Hutchinson, l’expansion de la carpe outre-Manche est une sorte de nouvelle Amérique. Le continent va selon lui permettre de réactiver les émotions originaires du carpisme, comme de prendre « une carpe qui n’a jamais honoré une épuisette. Une carpe sur laquelle ne sont jamais venus se refléter les rayons du soleil. » Contre Maddocks, la véritable pureté n’est donc pas celle d’un cheptel originel, mais de sensations et d’émotions originaires.

img_7542L’étonnant pourtant, est que Hutchinson semble avoir fait évolué son discours : rappelez-vous que dans The carpe strike back, il disait ne pas avoir changé depuis ses débuts ; or, s’il ne dit pas le contraire dans Carp… now and them, il admet que depuis 1981 la pêche de la carpe a évolué en Angleterre. Elle est, dit-il, à un million de miles de la pêche dans laquelle il a grandi. Hutchinson étouffe, et en particulier, il ne supporte pas dans cette évolution son versant Maddocks et son verni de rationalité. Hutchinson assène : « une chose apparaît : une carpe est une carpe, qu’elle vive dans le Lincolnshire, le sud de la France, l’Allemagne ou un bassin artificiel d’un parc municipal. Aucune n’est plus intelligente qu’une autre. Un bon appât est un bon appât partout. » On voit comme Hutchinson relativise jusqu’à l’écrasement toutes les données constitutives d’une certaine vision anglaise des carpes, et les débats qui font tempête dans ce verre d’eau. Mais quelle est la proposition de Hutchinson ?

Il promeut alors le pionneering, non comme nouvelle valeur, mais comme restauration des origines : « j’ai ravivé mon enthousiasme pour la pêche de la carpe en m’essayant à de nouvelles eaux. Je n’aime pas en savoir trop sur le site où je vais, c’est de cette manière que j’ai l’impression de revivre les débuts, et si par hasard je prends un poisson, son poids importe peu. »

Cette manière qu’a Hutchinson de remettre les choses à plat se vérifie jusque dans son heuristique : il juxtapose en effet certains chapitres de son ouvrage de 1980 à cette édition de 1988 et, comme il le dit lui-même, ne trouve pas grand-chose à en redire. Comme si la pêche de la carpe en Angleterre était de toutes manières parvenue à sa pleine actualisation, et qu’il fallait maintenant regarder ailleurs. Hutchinson assure même qu’en dix ans en Angleterre, le matériel et les montages n’ont pas avancé d’un iota, qu’on a fait que redécouvrir de vieilles théories et idées. Bref, l’Angleterre tourne en rond tout en dérivant sans s’en rendre compte de son port d’attache. Pour ce faire, pour larguer l’ancre qui fait faire des ronds au navire anglais et ainsi rentrer à bon port, Hutchinson va écarter tous les sites symboles de l’Angleterre : Aslhea, Redmire Pool sont obsolètes. Il faudra maintenant compter avec… Saint Cassien.

img_7541Carp… now and them achève donc notre cycle sur les grands ouvrages de l’histoire de la pêche de la carpe. Non qu’il n’y ait pas eu d’autres ouvrages depuis — bien au contraire — mais qu’en comparaison de ceux que je vous ai présentés, ils paraissent bien vides et bien vains, en tout cas vides des enjeux essentiels qui déterminèrent en grande partie la suite. D’ailleurs, l’exemplaire que je possède est signé de la main de Rod Hutchinson à Henri Limouzin, par qui la carpe est arrivée en France, et sans doute la France à Rod Hutchinson.

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