Celui qui fréquente un peu les réseaux sociaux le sait : la compétition est un de ces sujets de débat qui échauffent instantanément les esprits, devenant de ce fait un presque passage obligé de la prise de parole publique, et il y a quelques semaines mon pote Jean-Christophe David, qui répondait à mon autre ami David Dubreuil, réitérait d’ailleurs sur la page Facebook Predators la critique de la compétition à la française. Or, ce qui m’intéresse dans les débats sur les compétitions est moins ce qu’on en dit que ce qu’on ne dit pas. Je pense en effet que le succès de cette thématique s’explique aussi par la négative : il y a une omission dans tous les débats sur la compétition, et si aujourd’hui tout est critiqué (y compris le fait de tout critiquer) — avec une virulence qui mériterait elle-même d’être interrogée, — il est notable qu’une seule chose échappe à cette critique tous azimuts : la compétition elle-même, je veux dire : la compétition en soi, pas telle ou telle forme de compétition, mais la compétition — tout court…
Comme je l’ai écrit dans La Pêche et Platon, nous sommes passés en quelques années d’événements halieutiques conviviaux avec pour prétexte une petite compétition, à de véritables compétitions ayant pour alibi la convivialité — les secondes ayant fait des premières des cibles à abattre, presque une honte nationale (manière de récupérer la valeur de convivialité tout en l’euthanasiant gentiment). Si bien qu’il ne fallut que quelques promoteurs auto-déclarés de la pêche sportive (je m’inclus, le mea culpa est un bon exercice) pour que la compétition devinsse une chose bonne, une chose qu’il faut vouloir, parce que ce serait soudainement la même chose que de chercher à surclasser autrui pour se surpasser (le sport) et chercher à se surpasser pour surclasser les autres (la compétition). Mais vous allez me dire : et pourquoi pas ?
Je répondrais : connaissez-vous la « constante morbide » ? Expérience scientifique bien connue : on confie à un instituteur une classe de vingt ou trente élèves du même âge, tout en omettant de préciser à l’enseignant que cette classe ne sera composée que de purs génies… Imaginez : du Bergson et du Einstein derrière chaque pupitre, 130 de QI de moyenne… La crème de la crème. Que se passe-t-il à la fin de l’année ? Un tiers des enfants sont en échec scolaire… Pourquoi ? Tout simplement parce que l’instituteur a fait ce pour quoi il est formé : classer. A la fin de l’année, il y a donc logiquement un tiers d’élèves ayant de très bonnes notes, un tiers dans la moyenne, et un tiers en situation d’échec.
Le premier enseignement à tirer de cette expérience, c’est que la compétition ne départage pas les meilleurs. Jamais. La preuve : ces enfants sont précisément les meilleurs, et pourtant une moitié d’entre eux sont devenus d’un claquement de doigts des perdants. Ce ne sont pas les meilleurs qui gagnent, ce sont les gagnants qui deviennent les meilleurs. La compétition ne départage pas les meilleurs, elle ne révèle pas les meilleurs ; cela nous est devenu si difficiles à entendre que le répéter ne sert à rien : on n’y croit pas. Nous sommes en effet tellement habitués à nous imaginer qu’il y aurait dans la compétition quelque chose de l’ordre d’une main invisible qui désignerait objectivement un meilleur, nous sommes tellement aveugles au contexte dans lequel une compétition s’organise que nous en avons oublié sa fonction véritable : créer des perdants.
« Meilleur » et « gagnant » sont en effet deux concepts à distinguer. Comme le montre la constante morbide, si le gagnant est toujours le meilleur le meilleur n’est pas toujours le gagnant. Comment un gagnant alors gagne ? Par la création des perdants. Or, aucun compétiteur n’est en capacité de créer des perdants. Cela, seul un système, une certaine structure de sélection peut le faire. Vous l’aurez compris : une compétition est une machine à créer des perdants. Une compétition ravale d’un coup à grand nombre d’agents en en distinguant un. La force productive de la compétition n’est jamais située à l’endroit du gagnant. Si tel était le cas, on aurait arrêté depuis longtemps : imaginez une machine qui sacrifie mille pour obtenir un ! Non, la compétition est une machine à produire des perdants. Et elle en produit beaucoup…
Comment s’y prend-t-elle ? Ici c’est Hobbes qui propose à mon avis la meilleure analyse (parce que la plus simple) : les hommes sont si arrogants qu’ils ne parviennent pas à voir qu’il n’y a entre eux que d’infimes degrés (de talent, d’intelligence…), l’expérience (de l’âge) étant la seule différence vraiment sensible et qui se substitue très bien au concept d’intelligence. Il suffit de se mettre à distance suffisante des hommes, d’adopter un regard un peu global, pour s’apercevoir qu’entre le plus intelligent et le moins intelligent par exemple, il y a beaucoup moins de différence qu’entre le plus stupide des hommes et le plus malin des singes. La compétition fait donc de différences de degré des différences de nature, qu’elle nomme à sa guise les « bons » et les « mauvais », les « gagnants » et les « perdants ». Cela n’ayant d’ailleurs aucune importance, puisqu’aucune réalité objective ne correspond à ces différenciations.
Donc, le gagnant ne gagne pas parce qu’il est le meilleur, le gagnant gagne du fait que les autres perdent. On le voit d’ailleurs au fait (il suffit de lire Facebook et les blogs) que les perdants commentent généralement leur contre-performance en l’euphémisant : « nous terminons quatrièmes sur cinquante », « nous sommes dans le top10 », « premiers du secteur le premier jour, nous dévissons en huitième place le second » — bref, ils adoptent immédiatement le langage des perdants (mauvaise foi ou modestie, qu’importe, il n’y aucune différence substantielle entre celui qui conteste et celui qui admet sa défaite, puisque dans les deux cas il reconnaît la valeur performative de la compétition). Reste, et c’est l’important, qu’en dépit des apparences — bien foutues, je l’admets — une compétition n’oppose pas des agents entre eux, mais des agents à une structure : c’est, encore une fois, un système de sélection. Mais pourquoi les perdants acceptent-ils docilement cette humiliation ?
La première réponse relève un peu de La Boétie : en classant, la compétition instaure une hiérarchie. Chaque perdant est en même temps le gagnant d’un autre… à l’exception d’un seul — le dernier — qui devient le seul grand perdant puisqu’il est dominé par tous sans dominer personne. Il a alors le nombre contre lui, mobilisant de fait ce même nombre du côté du gagnant — manipulation politique bien connue. La seconde raison est plus subtile : savez-vous ce que font par exemple les pauvres quand on leur propose de les priver des lois qui les protègent de la paupérisation ? Ils acceptent. En tout cas acceptent-ils quand les riches leur présentent la chose ainsi : ces lois pourraient freiner l’enrichissement d’un pauvre si d’aventure celui-ci venait à « réussir ». Car tous les pauvres pensent (surtout quand ils sont jeunes, avant qu’ils ne comprennent la règle du jeu) qu’ils pourraient être celui-là qui va épouser cette réussite (comme on dit dans les fables qu’une servante épouse un prince richissime — hypothèse si contrefactuelle qu’on la trouve d’ailleurs surtout dans les contes de fée). Dans la réalité, celle qui est têtue, quatre enfants d’ouvriers sur cinq en France seront ouvriers à leur tour, et d’une manière générale, que vous naissiez pauvre ou riche, vous resterez dans 90% des cas pauvre ou riche. Le compétiteur halieutique, c’est idem : le perdant accepte sa défaite car s’il venait à gagner un jour… Alors il applaudit les vainqueurs en ravalant sa fierté…
Mais pourquoi le gagnant ne serait-il pas le meilleur, après tout ? C’est là où il faut sévèrement dé-zoomer. Quel est le départage opéré par une compétition ? En quoi consiste le tri ? Il revient à faire passer des volumes dans des formes. Celui qui a une belle forme pyramidale passera mieux dans le trou en forme de triangle — voilà tout. C’est ainsi que généralement on choisit son sport : celui qui ne court pas très vite ne choisira pas la course à pied, celui qui court vite mais n’est pas très endurant choisira le sprint, etc. Mais à l’école, on ne choisit pas sa discipline : les critères de sélection sont ceux de la classe sociale à atteindre (la bourgeoisie), ce qui évidemment place d’emblée les enfants de la bourgeoisie en position de leadership. Mais ce n’est pas ce qui importe : ce qui compte est de faire miroiter aux enfants du prolétariat la possibilité d’une trajectoire sociale ascendante, de manière à ce que la déception qui viendra nécessairement s’accompagne de la certitude que cette contre-performance est un fait individuel et non structurel. De la même manière que le marché du travail (qui est une compétition) a surtout pour vocation de culpabiliser les chômeurs, l’école culpabilise les désignés perdants : les premiers n’ont pas assez fait d’écoles pour travailler, les seconds n’ont pas assez travaillé pour faire l’école. Mais voilà : ce sont les mêmes. Des fainéants, forcément.
La compétition-pêche n’échappe pas à ce principe, et si vous voulez mon avis le seul vrai gagnant est celui qui édicte les règles, car il décide de la figure que fera émerger la compétition. D’où les enjeux des débats et leur embrasement inévitable (souvenez-vous de mes accrochages avec l’Afcpl ou le Gn Carla !). L’organisateur pose en effet toute une série de variables d’ajustement qui vont déterminer si ce sera plutôt Paul ou Jacques qui remportera la timbale. La raison d’être de ces polémiques est que le règlement va décider presque à lui seul, et avant toute action individuelle, toute participation et tout autre facteur, du « gagnant » (qu’il ne restera plus ensuite qu’à présenter dans les médias comme le « meilleur » pour que sa légitimité, toute artificielle, naturalise en retour la légitimité de la compétition qui l’a promu — vous savez maintenant pourquoi le « Défi » était en même temps un Défi Predators).
D’où là encore la déception généralisée quand le visage qui surgit n’est pas celui attendu, comme quand un vieux pêcheur au vif mal habillé remporte une compétition de pêche aux leurres, ou deux pauvres gars sur une coquille de noix font la nique aux bassboats — on appelle alors à changer le règlement. Tout le monde sent confusément que quelque chose ne va pas : le gagnant n’est plus en même temps le « meilleur ». Ca déraille et l’on sent que la machine nécessite un réglage. Sur l’Afcpl, on disait que le système fonctionnait quand une grosse écurie — Pure Fishing ou Rapala — l’emportait, c’était la fonction de la machinerie Afcpl. Sur le Défi, tout le monde était satisfait quand les consacrés avaient moins de trente ans et si possible nus de sponsoring, car c’était la finalité dernière de la règle. Mais dans les deux cas, il y avait bien des attentes et des préconçus déposés au cœur même du règlement, et qui avait pour but d’opérer une sélection consciente ou inconsciente des participants. C’est pour cette raison que le fantasme FFPS d’un circuit unique consacrant des champions pleinement légitimes est une de ces intentions dont est pavé l’enfer, et qui dit deux choses importantes sur la compétition :
- les ficelles sont grosses et il faut sans cesse veiller à dissimuler le cynisme du système pour en préserver la légitimité ;
- un seul circuit de compétition national équivaut à recréer les conditions du système scolaire, où à force de sélectionner la même figure du « gagnant » on finit par abolir toute distinction entre « gagnant » et « meilleur », légitimant définitivement un système de légitimation qui n’était pourtant a priori pas plus légitime qu’un autre (avec en prime la force du grotesque titre de « champion de France » qui, il est vrai, tend à faire oublier son arbitraire par sa puissance symbolique).
Voyez comme la critique en apparence la plus anodine, la remarque allant la mieux de soi, peut avoir des implications hautement problématiques. En voici un exemple : dans son interview, JC assène : « en France les compétitions sont pour la majeure partie multi-espèces. Beaucoup de tournois sont gagnées avec deux, voire un poisson parfois. Que doit on en penser ? On va dire, oui mais les meilleurs s’en tirent toujours, et les bons gagnent. Peut-être, admettons. Mais pensez-vous vraiment qu’avec deux poissons capturés, qui plus est dont le comportement est différent, il y ait eu une quelconque stratégie valable durant la journée ? Qu’un pattern ait été mis en place ? Absolument pas, la chance a décidé pour tout le monde. Il faut ouvrir les yeux sur la réalité du niveau général, qui est tiré vers le bas à cause de l’état de nos eaux intérieures. » Il faut préciser que JC à cet endroit ne parle pas des compétitions mais des milieux aquatiques, de leur état déplorable. Il n’empêche que se présente ici un préconçu, qui comme tout préconçu passe parfaitement inaperçu : « la chance a décidé pour tout le monde ». J’ai envie de dire : et alors ? Après tout, si les conditions sont les mêmes pour tout le monde, le jeu est égal, donc la victoire juste, non ? Il faut alors expliquer en quoi il est des victoires moins justes que d’autres, en quoi « les bons gagnent » tandis que les « meilleurs s’en tirent » par une dissociation, explicite cette fois, des « meilleurs » et des « gagnants ».
Pour JC et ses lecteurs, il n’est pas besoin d’expliquer en quoi une victoire sur une eau peu peuplée serait illégitime, et j’y vois au moins deux raisons :
- comme je le disais plus haut, organiser une compétition consiste à mettre en place un projet tout en dissimulant ce projet, il faut donc taire certaines de ces raisons, mais
- l’implicite est ici connivence : pas besoin d’expliquer, tout le monde est ou devrait être d’accord avec ce qui est suggéré.
Mais qu’est-ce qui est suggéré ? Qu’est-ce que le projet met en place en le dissimulant, et qui est si bien partagé qu’il va littéralement sans dire ? C’est bien sûr la volonté farouche de faire la peau à la stochasticité des résultats. Mais je renouvelle mon interrogation : pourquoi ? (C’est ici que la réflexion nécessite un effort de désolidarisation avec l’évidence évidente) La requête pourrait en effet surprendre (mais elle ne surprend pas, ce qui est mon motif de surprise) : il me semblait bien qu’à la pêche, la chance était un facteur décisif, une donnée importante et même précieuse de l’action de pêche. A la pêche je suis heureux du coup de chance qui m’apporte un beau poisson. J’ai même conscience que la capture d’un tel poisson, ou que la réussite d’une partie de pêche, a toujours un peu à voir avec la veine. Alors voilà, nous tenons le projet implicite : faire de la pêche de compétition autre chose que la pêche dans sa plus grande généralité (et je pense que cette étape n’est que préliminaire à une ambition plus fondamentale : changer en profondeur la pêche en lui donnant sans cesse pour modèle la compétition, comme on l’a fait pour le travail).
Car quand on parle de pêche de compétition, un peu comme quand on parle de nature, on est d’emblée transposé très loin de la pêche ou de la nature, vers une euphémisation des rapports sociaux. Il y a toujours un projet derrière un règlement de compétition : la compétition telle que l’entend cette nouvelle génération de compétiteurs veut faire le départ, et in fine éviter tout mélange, entre agôn et alea (antagonisme et hasard). Bref, la compétition ne doit pas être un jeu de hasard. Plus précisément, la compétition ne doit comporter aucun jeu, c’est-à-dire ne laisser aucune chance à l’imprévu, comprenez : à l’intrus. S’il y a bien une part irréductible de chance dans la compétition-pêche, celle-ci ne doit pas fausser le rapport établi entre l’input (le règlement) et l’output (le gagnant).
C’est ici où le propos de JC exprime une attente très spécifique, mais très aisément identifiable, à savoir celle du compétiteur-légitime, c’est-à-dire de celui dont on s’attend à ce qu’il gagne, et qui reçoit donc une pression supplémentaire de la part du système. Car avant tout déroulé de la compétition, certains sont déjà pressentis pour en être les gagnants. On dit d’ailleurs généralement de ceux-là que ce sont les « meilleurs »… Sur ce point je veux attirer votre attention, car JC le dit bien : quand les conditions ne sont pas réunies, les « meilleurs » ne sont plus les « gagnants ». Cette affirmation est pour moi problématique. Car il me semblait, excusez ma naïveté, que c’était justement la fonction de la compétition que de désigner les meilleurs ; comment alors connaît-on les meilleurs avant le résultat de la compétition ?
La réponse est très simple, elle est même purement sémantique : on dit plus facilement des « meilleurs » (par un genre de respect feint pour la formalité que constitue le déroulement de la compétition) qu’ils sont les « favoris ». Qu’est-ce à dire ? Qu’ils sont les favoris du système et donc ses favorisés. Voyez comment la compétition comme le système scolaire se rejoignent à nouveau : on s’attend à ce que les favorisés deviennent les meilleurs, les gagnants du système, si bien que quand cela ne se produit pas, alors on pointe une défaillance du système lui-même. Tout se passe comme si la compétition idéale était perçue comme une machinerie : quand vous mettez une dosette dans votre cafetière, vous vous attendez à ce qu’il en ressorte un jus ayant plus ou moins le goût de café. Si quand vous appuyez sur le bouton il ne se passe rien, ou s’il en sort du jus de fruit, vous comprenez que quelque chose ne s’est pas passé correctement. Il en va de même avec la compétition actuelle : alors que pendant longtemps on ne s’étonnait guère — on se réjouissait même ! — de ce que le pochtron du coin remporte la coupe avec un coup de bol pharamineux, aujourd’hui cela nous semble inacceptable. La compétition doit consacrer ceux qu’elle doit consacrer, point. La (com)pétition de principe ne fait plus peur, entendu qu’on ne peut pas davantage couronner un pêcheur du dimanche qu’élire président un type qui se présente en T-shirt à un débat télévisé…
Certains compétiteurs savent ainsi qu’ils sont les favoris du système, mais ils craignent la part de chance, de jeu dans les rouages, qui fausserait les pronostiques. (Pour un organisateur à l’inverse — comme je l’étais, — cette part de chance, ce jeu dans les rouages, est en fait le plaisir du jeu : les compétiteurs-légitimes parviendront-ils à tirer tout le profit du règlement pour remporter une épreuve faite pour eux ? Mais le compétiteur-légitime ne l’entend pas vraiment de cette oreille, et réclamera sans cesse qu’on abolisse le hasard, id est : qu’on assure sa victoire promise.) En cela, le compétiteur-légitime a en effet une conscience plus accrue de la réalité de la compétition comme système insidieux de favoritisme, mais il sait en outre que la dissimulation de ce système parfaitement inique passe par deux éléments d’importance :
- la mise en place de règles qui rendent mieux répétitive la promotion des mêmes figures, ceci afin de légitimer le système en naturalisant sa production, et
- un contexte (ici les milieux) qui donnent à ses règles leur efficience maximale par un pur effet statistique (un dé pipé répond mieux à ce qu’on attend de lui qu’il est lancé plus souvent — un coup de dé n’abolira jamais le hasard).
C’est de cette manière que vous constaterez que toutes les discussions sur la compétition tournent toujours autour de ces deux questions :
- quels champions voulons-nous ?
- quelle forme de compétition peut nous les donner ?
Et si vous êtes attentifs, non seulement vous constaterez qu’il y a évidemment une homologie forte entre marché du travail, compétition managériale, système scolaire et compétition sportive (qui tendent à converger idéologiquement, avec les résistances historiques que cela induit), mais qu’en outre tout le monde tire ici la couverture médiatique à soi. Vous noterez aussi que l’affaire est mieux entendue que ceux qui prennent la parole, ou plutôt ceux qui sont écoutés, sont ceux qui sont déjà habilités à le faire, à savoir les compétiteurs-légitimes, et que quand leurs attentes sont déçues, ils se dirigent volontiers vers la compétition internationale (comprenez à l’étranger), où par un bel effet d’entre soi les compétiteurs-illégitimes (souvent plutôt des pauvres) sont de fait écartés avant même que la compétition ne débute, et où de toutes façons le compétiteur, parce qu’il détient les moyens de communication propre à légitimer sa performance (blog, page Facebook, chaîne Youtube…), organise lui-même le faire-savoir de son savoir-faire, bouclant une boucle ravalant toute une partie de la population au rang non pas de perdants cette fois, mais de spectateurs-consommateurs, la coupure publicitaire étant directement intégrée au sport-spectacle. J’ai envie de dire : chapeau, mais c’est là où je me demande si finalement la « démocratisation de la pêche » des années 90 dont parle JC dans son entretien n’a pas plutôt été un formidablement embourgeoisement, une fantastique confiscation de la parole et du devenir de l’halieutisme en France…