On m’a demandé dernièrement s’il fallait mieux parler, quant à la nature, d’environnement ou de milieu. J’ai alors esquissé un genre d’explication — la normativité du langage n’est peut-être pas à prendre en ce sens — qui, trop compliqué, m’obligea à prendre parti pour le terme de milieu. Je voudrais revenir sur cette question.
Commençons par la réponse embrouillée que je formulai. La question qui m’était posée était en fait double :
- que choisir entre environnement et milieu ?
- que voudrait la langue ?
Or, on ne peut répondre au premier point sans éclaircir le second.
Pour écarter tout de suite un malentendu, il n’y a pas de terme plus juste qu’un autre. Tout dépend de ce que l’on veut dire. Or, le langage n’est pas normatif en ce sens qu’il imposerait des figures et des concepts aux choses. Si le langage répond en effet à des structures inconscientes universelles — ce que les linguistes appellent le « mentalais » — celui-ci est suffisamment lâche pour qu’il soit à peu près possible de tout dire. Il n’y a guère que dans l’activité scientifique qu’on puisse se trouver en peine de pouvoir dire ce que l’on devrait pouvoir dire.
Toutefois, le langage est normatif en ce sens qu’il impose à l’esprit une certaine perspective. C’est particulièrement le cas dans sa dimension informationnelle. Quand Patrick Buisson, conseiller d’extrême-droite de Nicolas Sarkozy, parvient à glisser dans les éléments de langage du discours public le terme « d’identité » (qui n’a aucune consistance scientifique), il impose un certain nombre de thèmes et d’idées, dont on n’a pas fini de mesurer les effets délétères. Même chose quand les médias parlent de « prise d’otage » pour des mouvements sociaux. Etc. de même, vous noterez que les classes un peu privilégiées parlent de « tolérance » (un qui tolère, l’autre qui est toléré) là où les dominés parlent de « respect », et qui engage une mutualité. Dans un cas la verticalité est donnée, dans l’autre l’horizontalité est revendiquée.
Bien qu’il faille modérer cette affirmation, le langage n’impose pas de manière de parler à l’émetteur, par contre il en impose beaucoup à l’esprit du récepteur. Le vocabulaire choisi revêt donc une importance quant à la manière dont notre interlocuteur va comprendre notre message.
Tout le monde saisira alors que, selon qu’on choisisse de parler de milieu ou d’environnement, il y a au moins un présupposé majeur qui varie : si l’environnement suggère que l’homme se trouve au centre, le milieu rejette celui-ci à la périphérie. C’est pourquoi le politique et l’industriel sont généralement portés à parler d’environnement, le scientifique et l’écologiste de milieu.
Pour plaider un peu plus avant en faveur du terme de milieu, je dirais que cette expression, en imposant une certaine centralité à la nature, ouvre tendanciellement le débat au souci pour l’objet désigné : ce qui est central n’est central qu’en vertu d’une certaine préoccupation : du milieu on se préoccupe, de l’environnement on a simplement conscience, voire on n’a cure.
Toutefois, je ne serais exhaustif dans ma démarche, si je ne signalais que milieu et environnement possèdent un certain nombre de préconçus en commun.
Tout d’abord, et c’est évident, ils suggèrent une coupure, une différence entre la nature et les hommes. Et c’est sans doute là son principal défaut : comment accéder à la conviction que l’homme est fondu dans la nature, qu’il n’existe à proprement parler (cette fois) pas de différence entre nature et culture, si on maintient une métaphore spatiale qui distribue les animaux entre l’Unique et les autres ?
Pour le dire un peu pompeusement, il y aussi en outre embusquée derrière — mais c’est sans doute lié — une anthropologie de consistance subjectiviste. Léo-Strauss avait raison de dire que le cartésianisme est devenu une « mentalité ». Environnement et milieu disent tous deux que le sujet — l’homme — observe et agit sur un objet (la nature). Mais si milieu et environnement sont en quelque sorte d’accord pour dire que l’homme est séparé de la nature, s’ils parlent tous deux de la nature comme d’un objet, les deux vocables ne disent plus exactement la même chose du sujet.
En effet, quand la nature est comprise environnante, le sujet est en outre facilement compris comme monadique. Le subjectivisme devient aisément individualisme. Tandis qu’avec le terme de milieu, le cogito cartésien, expérience en première personne, se modifie : un « nous » survient au bénéfice d’une convergence des regards. Ce n’est plus l’individu qui est environné, c’est un nous qui se trouve constitué par une attention commune, un centre de gravité que se partagent tous les sujets.
Il n’est alors pas difficile de voir se dessiner deux projets politiques, mais aussi deux anthropologies philosophiques derrière ces deux mots. Ce pourquoi, si je préfère quand même le terme de milieu à celui d’environnement, j’évoquerais en réserve qu’ils partagent néanmoins une même appréciation sur l’articulation à donner aux concepts d’homme et de nature — même si in fine, ils ne partagent pas la même conception de l’homme.