Les études que nous rapportons ici ont majoritairement été réalisées sur des bass à grande et petite bouche. Leur objectif commun est l’évaluation des réponses physiologiques et comportementales des poissons, face à différents facteurs de stress liés à la pêche. Nous essayerons ici d’en faire la synthèse, en gardant à l’esprit que certaines de leurs conclusions sont contradictoires. Mais nous chercherons aussi à montrer que cette apparente contradiction est peut-être à mettre sur le compte d’une divergence méthodologique : tandis que certaines études se bornent à étudier la mortalité pré-relâche, d’autres, et c’est leur double nouveauté, s’intéressent et à la récupération des poissons sur une période s’étendant bien au-delà du moment de la relâche et à l’impact sub-létal du catch and release. Deux données nouvelles qui apportent un éclairage bien différent…
Toutes ces études démontrent sans surprise que la pêche engendre un stress réel sur les poissons, mais que ce stress varie dans des proportions importantes en fonction de la température de l’eau et l’état de fatigue du poisson. Les résultats suggèrent aussi que l’exposition à l’air est une donnée capitale de survie du poisson : plus celui-ci reste longtemps en dehors de l’eau, plus son stress augmente et plus ses chances de survie diminuent… Dans ce cadre, il semblerait que les compétitions soient le pire (le dernier ?) moment de la vie des poissons, en raison des nombreuses extractions hors de l’eau qu’ils subissent. Qu’en est-il vraiment ?
En fait, même quand le poisson ne meurt pas, les perturbations qu’il subit ont des effets clairement négatifs sur sa santé. C’est la raison pour laquelle, sur le Défi Predators, nous ne voulions pas de poisson moribond à la pesée : peu importe qu’il « reparte » après que le commissaire l’ait invalidé, puisqu’il ne devait pas être déplacé mais relâché aussitôt et in situ. Mais allez faire comprendre cela à un compétiteur !
En particulier, la fonction biologique la plus impactée par le stress de la capture est… la capacité de reproduction. Plusieurs études démontrent formellement qu’un bass mâle capturé sur son nid puis relâché, perd de ses facultés locomotrices et donc de son efficacité à garder le nid… Mais certaines études ont aussi un volet positif, puisqu’elles cherchent à vérifier des solutions pour minimiser l’impact de la pêche sportive sur la santé des poissons. Et cela nous intéresse bien sûr en premier chef !
Mais commençons par le commencement. Pourquoi en effet mêler la compétition à la question de l’efficience du no kill ? La réponse est que la pérennité des populations de bass est une problématique très ancienne aux Etats-Unis. Elle a été soulevée dans les années soixante-dix, précisément lorsque les compétitions se multipliaient. Le no kill n’était alors que peu pratiqué, et très mal accepté par l’opinion publique. On était alors dans la situation de la France du début des années deux mille, avec une pêche-alimentaire largement prédominante. La vaste et puissante organisation américaine B.A.S.S, en dépit de l’hostilité des pêcheurs, se cramponna néanmoins à son idée de catch and release pour les black-bass : elle a alors expérimenté diverses formules de compétition permettant la relâche des prises, et ce dès dix-neuf cent soixante dix-huit. Voilà pourquoi le no kill dans les études scientifiques est si étroitement associé à la pratique de la compétition : le no kill est à la compétition un credo et une justification morale.
Dans un premier temps pourtant, beaucoup des poissons relâchés après les tournois finissaient par mourir. Au point qu’on procéda à une collecte de ces poissons pour nourrir les nécessiteux ! B.A.S.S eut alors bien du mal à tenir son discours pro-no kill. Mais comme la pression de pêche augmentait considérablement et continuellement depuis les années cinquante, jusqu’à atteindre une situation telle qu’il fallait dorénavant protéger les populations de black-bass, les organisateurs de concours et les gestionnaires publics se mirent d’accord pour encourager le no kill en certifiant que les poissons relâchés survivaient — ce qui était sinon un mensonge, du moins cavalier, puisque personne n’en savait rien et que les faits contredisaient régulièrement cette affirmation.
Or, depuis les années soixante-dix, les scientifiques ont fait de grands progrès et peuvent dorénavant mieux estimer les chances de survie des poissons pris à la ligne puis relâchés. Sans compter que les pêcheurs n’ont pas attendu les chercheurs pour mieux manipuler les poissons. Ils ont donc mis au point des solutions purement empiriques pour optimiser les chances de survie de leurs prises, ce qui a eut pour effet d’accroître l’optimisme forcené (et forcé) des premiers organisateurs de concours. Aujourd’hui encore, on continue ainsi à considérer un peu vite la mortalité des concours comme pouvant se résumer à celle la mieux visible (dans la piscine de repos, par exemple), donc négligeable. Or, et c’est ce que cherche à vérifier les études menées aujourd’hui, la mortalité qui survient quelques jours après la compétition peut être bien plus importante, et même sans commune mesure avec la mortalité immédiate et visible. Et ce qui est valable pour la compétition l’est sans doute pour la pêche récréative…
Si toutes les études se sont toujours focalisées sur la mortalité des poissons, bien peu se sont intéressées à l’impact sub-létal du catch and release. Quel impact sur la reproduction ? la croissance ? la résistance aux maladies ? Autant d’aspects passés à la trappe de la bonne conscience agissante, celle qui agit sans avoir besoin d’être pleinement consciente… En d’autres termes, si l’on s’intéressait jusqu’à présent à l’impact sur la population (la mortalité), il faut dorénavant s’intéresser à l’impact sur l’individu (la santé).
La question est d’importance, car ici des lobbies pèsent : d’un côté la pêche récréative affirmera sans broncher l’innocuité de l’acte de pêche (interrogez l’Effta ou le Gifap : je doute qu’ils verront ces questions autrement que comme des affres de « bobo parisiens » ou « d’écolo-talibans ») ; de l’autre les écologistes les plus radicaux condamneront sans sourciller le no kill en raison de sa barbarie supposée.
Une hypothèse nécessaire en effet à la stratégie du catch and release est qu’elle soit à la fois durable et éthique : il faut que la majorité des poissons relâchés survivent. Or, comme nous l’avons rapidement évoqué, la mortalité des poissons est ordinairement approchée sous la distinction immédiate / médiate. La première réunit les sujets décédés pendant ou après la capture, mais toujours avant la relâche ; la seconde rassemble les victimes post-relâche. Or, longtemps cette dernière mortalité n’a pas été évaluée, par exemple avec la mise en place d’enclos de captivité. C’est pourtant une donnée capitale, puisque sans elle nous ne pouvons connaître la mortalité réelle liée à l’action de pêche, en loisir ou en compétition. En fait, aussi longtemps qu’on n’examinait que la mortalité immédiate, des scientifiques, se basant exclusivement sur des statistiques effectués sur les tournois de pêche, pouvaient affirmer que toute estimation de mortalité des bass dépassant les vingt pourcents était probablement surévaluée. Pour eux, il ne peut y avoir en théorie plus d’un poisson sur cinq pris à la ligne qui trépasse. En théorie…
En théorie puisque, vous l’avez compris, il faudrait attendre pour bien faire que le poisson se soit pleinement remis de sa capture. Un collège de scientifiques a montré que cela pouvait prendre huit à douze heures (même si les paramètres cardio-vasculaires et respiratoires peuvent recouvrer leur normalité dès une à trois heures). Le poisson semble s’être remis, mais il n’a pas encore récupéré toutes ses fonctions. Douze heures, un délai bien supérieur à la durée d’observation habituelle…
Ceci dit, n’importe quel pêcheur pas trop ingénu a bien conscience qu’il ne suffit pas de ne pas tuer pour ne pas faire mourir. C’est pourquoi, pour écourter ce temps de récupération du poisson, deux grandes stratégies s’affrontent depuis toujours : (i) épuiseter ou droper le poisson aussi rapidement que possible pour éviter qu’il ne se décroche et/ou qu’il n’y laisse toutes ses forces, ou bien (ii) minimiser la violence du combat pour s’assurer de se saisir d’un poisson bien tranquille une fois hors de l’eau. Car il est vrai que ces derniers poissons, épuisés par la lutte, se débattent bien moins une fois sur le bateau, se blessent donc aussi moins, ce qui permet de réduire le temps de manipulation avant la relâche. En gros, c’est le dilemme de l’homme sous la pluie : courir pour rester moins longtemps sous les gouttes, ou marcher pour réduire son exposition ? C’est ce que nous verrons dans la deuxième partie…