Phéromone : un terme qui nous conforte dans l’achat parfois hasardeux d’un nouveau produit, mais qui une fois au bord de l’eau nous intrigue… Pourquoi et comment une simple substance chimique assurant la communication des poissons est-elle censée augmenté le nombre de nos prises ?
Les phéromones peuvent-être considérées comme des « odeurs » qui, une fois sécrétées par un individu, provoquent chez un autre individu mais de la même espèce une réaction spécifique, un comportement déterminé ou une modification biologique. Il s’agit d’une action au sein d’une même espèce dite en conséquence intraspécifique.
Elles peuvent être à la fois volatiles (perçues par l’odorat), ou bien agir par contact (perçues par le goût). Ils en existe différents types qui servent principalement à la reproduction et à la coordination entre les individus : par exemple dans les réactions de défense, la recherche de nourriture et les déplacements.
Cependant, il ne faut pas les confondre avec les hormones, qui ont une action au sein même de l’organisme telle l’insuline et qui permet de faire baisser le taux de glucose sanguin chez l’homme. Ni avec les substances allélochimiques contenues dans le sang et les urines qui agissent sur d’autres individus d’espèce différente en modifiant leur comportement (prédation, parasitisme…). On a là une action interspécifique.
Maintenant que les bases sont posées, attaquons-nous à la première partie du problème en analysant le rôle des phéromones dans la vie aquatique. Dans le but de comprendre in fine ce que contiennent ces attractants à base de phéromones.
Les phéromones sexuelles permettent principalement d’attirer un partenaire de sexe opposé au sein de la même espèce. L’aspect spécifique des phéromones est ici très important car imaginons qu’un brochet soit réceptif aux phéromones d’une perche, la survie de l’espèce de cette dernière s’en verrait très fortement altérée. Malgré cela, des exceptions existent : l’éléphant d’Asie et une certaine espèce de moustique sécrètent une même phéromone sexuelle. Bien entendu, un tel croisement reste tout à fait improbable…
Des études menées dans les années 70 montraient que les truites arc-en-ciel aptes à se reproduire étaient attirées par l’eau provenant des poissons de la même espèce frayant en amont. Cette découverte permis par la suite de mettre en évidence l’influence des fluides ovariens (pouvant contenir des phéromones et des substances allélochimiques) sur les déplacement des mâles.
Cette particularité est mise à profit par des pêcheurs du Mississipi qui utilisent comme « attractant » les femelles de la barbotte brune (appartenant à l’ordre des siluriformes) en phase de reproduction pour capturer en masse les mâles victimes de leur instinct primaire de conservation de l’espèce.
Les phéromones d’alarme permettent comme leur nom l’indique à un poisson blessé d’avertir ses congénères par l’émission d’une substance d’alarme qui provoque chez ceux-ci un comportement anti-prédateur. Ce comportement peut se traduire par une augmentation de la mobilité et de la vigilance. Cette hypothèse a été émise dés 1938 par le professeur Von Frisch qui avait constaté qu’un vairon blessé était responsable de la fuite du banc auquel il appartenait. Il confirma par la suite cette hypothèse en démontrant que cette réaction (se manifestant sur un grand nombre de poissons), était due à la perception de phéromones émises niveau de la zone lésée de l’épiderme.
Ces phéromones sont en fait contenues et crées dans des petites cellules en forme de massues contenues dans l’épiderme du poisson. Ceci implique donc une blessure physique à ce niveau pour que l’émission soit possible.
Il existe de plus des réactions complémentaires à celles décrites précédemment. C’est ce qu’a démontré le professeur Crane en 2009 chez les percidés en mettant en évidence une réduction drastique des mouvements ainsi que des périodes d’inactivités plus ou moins importante.
En admettant que la perche soit dotée de cette particularité, ceci expliquerait bien les arrêts brusques et souvent définitifs des touches lorsque nous les décrochons en les ramenant, ou en les remettant directement à l’eau sans passer par la case vivier. Ceci s’avérerait donc être une des conséquences des frottements prononcés avec nos bas de lignes, nos épuisettes ou même avec des herbiers particulièrement rigides. De plus il ne faut pas oublier que l’épiderme des poissons que nous pêchons se trouve au-dessus des écailles, et donc directement au contact de nos mains au moment de retirer l’hameçon… Le risque de provoquer une lésion est donc à ce moment là très important, et même si l’on ne s’en aperçoit pas lors de la manipulation, la suite de la partie de pêche pourrait s’en voir compromise.
Notons aussi, que chez certains poissons, les cellules se désactivent lors de la fraie. Ainsi, ils peuvent nettoyer une zone en se frottant au substrat sans crainte d’apeurer un potentiel partenaire sexuel.
Il existe néanmoins une controverse au sujet de ces substances d’alarme car contrairement à ce qu’on pensait initialement, elles ne semblent pas être spécifiques, et induisent généralement des réponses d’alarmes équivalentes chez d’autres espèces. C’est le cas de la perche-soleil qui présente une réponse anti-prédatrice lorsqu’elle est exposée à la phéromone d’alarme d’espèces appartenant au super-ordre des Ostariophysi. De la carpe à la brème, en passant par le gardon et le poisson-chat, ce super-ordre contient environ 68% des espèces d’eau douce possédant comme caractéristiques communes une vessie natatoire reliée au système auditif, et une substance d’alarme commune.
Cependant, ne tirons pas de conclusion trop hâtive car la nature a bien fait les choses, et pour l’instant aucune étude n’a prouvé que ces phéromones d’alarmes auraient un hypothétique rôle dans la relation proie-prédateur. Une des seules exceptions louables serait celle de la relation coccinelle-puceron au sein de laquelle la coccinelle s’appuie sur la phéromone d’alarme du puceron pour le localiser.
Bien entendu, d’autres phéromones existent, mais tous les décrire nous prendrait trop de temps. Je vous fais donc un petit condensé de deux de ces substances qui joue un rôle majeur chez certaines espèces.
Le premier concerne les espèces vivant en banc. Celui-ci leur permettrait de maintenir une cohésion et une attraction interindividuelle intraspécifique (entre individus de la même espèce) lors des déplacements de nuit. Ce système serait bien-sûr relayé par la vue pendant la journée.
Le second jouerait un rôle dans la migration des saumons. En effet ces poissons sont réputés pour venir se reproduire sur le lieu de leur naissance. Ainsi, ils se serviraient de la perception des phéromones émises par les jeunes saumons de leur descendance vivant encore en eau douce pour rejoindre leur rivière natale. Ces phéromones auraient donc de petites différences « familiale » dans la même espèce. Néanmoins, cette récente hypothèse ne s‘oppose en aucun cas à l’orientation magnétique déjà prouvé en 2013 par une université américaine.
C’est en nous basons sur ces différents modèles et en les appliquant sur nos espèces de carnassiers, que nous pourrons expliquer l’utilité de la présence de phéromones dans certains attractants. Nous allons nous intéresser à la formule déposée Ultrabite utilisée notamment dans les produits Trigger-X. Cette formule met en avant l’utilisation des phéromones pour inciter le poisson à mordre… La question est : est-ce vraiment possible ?
Pour y répondre il faut remonter un peu dans le temps, et s’intéresser aux différentes étapes et découvertes qui ont permis l’élaboration de ce produit, et quelques anecdotes aussi croustillantes que surprenantes valent le coup d’être connues.
La formule Ultrabite est née de l’alliance de l’entreprise privée Kiotech et du Cefas (Centre for Environment, Fisheries and Aquaculture Science) : une agence gouvernementale britannique.
Kiotech était à l’origine une entreprise axée sur les modifications comportementales causées par les odeurs chez l’homme et l’animal, cependant après une découverte surprenante elle s’est dirigée uniquement vers les phéromones…
Cette découverte à pour point de départ un article du magazine britannique The Field. Celui-ci décrivait les aventures d’un pêcheur dont le succès à la pêche était grandement amélioré lorsqu’il utilisait des mouches contenant des poils pubiens de sa femme. Aussi insultant que cela puisse paraître, le scientifique Ecossais Dr. Dodd s’y intéressa et mis au point un attractant à base de phéromones sexuelles femelles. Après avoir testé sa substance durant une année sur les rivières Irlandaises, il contacta le Cefas pour procéder à des recherches plus poussées et il fut au bon endroit au bon moment.
Car à quelques pas de là, des recherches sur le déclenchement de l’alimentation des poissons était menées par le Cefas et une substance mise au point par le scientifique Andy Moore commençait à faire ces preuve : le Factor X.
Pour Andy Moore et le Cefas, ce fut une aubaine, car ils avaient trouvé et fait breveté la combinaison de phéromones sensées déclencher une réponse d’alimentation et on leur apportait sur un plateau le moyen de déplacer les poissons vers leur produit.
C’est donc en 1998 que l’entreprise privée et l’agence gouvernementale s’allient pour donner naissance à Ultrabite en combinant donc les phéromones sexuelles au fameux Factor X.
Les composants de ce dernier restent tout de même assez flous à cause des secrets de fabrication. Mais en se penchant sur les différents brevets déposés par les deux inventeurs, on peut dénicher quelques informations bien utiles.
Commençons par celui déposé par le Dr. Dodd. Sans surprise, on retrouve la présence de composés organiques à fort pouvoir odorant comme l’indole et le scatole qui dégagent une forte odeur fécale (mais qui sont aussi utilisé en parfumerie car à faible concentration ils possèdent une odeur évoquant un subtile mélange de fleur d’oranger et de jasmin), ainsi que différents composés caractéristiques de l’odeur de la viande avariée et du musc. On retrouve aussi la présence de différentes phéromones sexuelles ; jusque là rien d’anormal étant donné les recherches menées par ce docteur. Mais quand on apprend que ces phéromones sont d’origine humaine, ça fait bizarre…
Et bien oui, les poissons sont attirés par les phéromones de la gente féminine de notre espèce. En effet, les composés ayant un effet positif et attractif chez les poissons sont plus présents chez les femmes que chez les hommes. On peut citer parmi eux la triméthylamine qui est apparemment caractéristique d’une odeur de menstruations, mais qui est surtout responsable de l’odeur caractéristique d’un manque d’hygiène assez prononcé au niveau de la peau. On note aussi la présence d’androsténone qui a été la première phéromone découverte chez les mammifères que l’on peut retrouver dans l’haleine des cochons mâles pour attirer les truies, et dans la sueur des humains. Cette substance est aussi utilisée dans certains parfums aphrodisiaques, mais ne nous égarons pas…
Du côté du brevet déposé par Andy Moore, on distingue deux composés majeurs qui sont des dérivés de la progestérone et de la testostérone. Ces deux composés sont des hormones sexuelles qui se comporteraient comme des phéromones une fois expulsées hors de l’organisme. A cela s’ajoute des phéromones sexuelles provenant de différents vers marins.
La combinaison de ces substances sexuelles induirait une réponse alimentaire de la part des poissons au contact avec celle-ci. Cet argument est actuellement fortement repris par le Cefas pour vendre son produit auprès des pêcheurs sportifs, mais aussi et surtout auprès des fermes aquacoles productrices de saumons dans les mers du Nord pour réduire les milliers de tonnes des nourriture contenant une quantité improbable de médicaments s’amoncelant chaque années sur les fonds marins : argument très fort auprès des pouvoirs publics pour pouvoir obtenir des subventions. Notons aussi que ces produits sont déjà utilisés en Asie pour l’élevage quasi industriel du Tilapia par exemple.
Mais revenons-en au sujet principal. Toutes ces bases théoriques sont d’une extraordinaire efficacité sur le papier, mais quand nous sommes au bord de l’eau, il n’y a que nous, le poisson, et moult facteurs imprévisibles, bien réels cette fois-ci. Et c’est pour cela que nous devons avoir confiance en nos leurres ; et ça, les industriels l’ont bien compris : plus on a confiance en un leurre, plus on insiste avec celui-ci, plus on va prendre de poissons (dans la théorie), et plus on va consommer (là c’est bien réel).
Qu’ils soient durs ou souples, bruiteurs ou silencieux, flamboyants ou totalement neutres, nous ne seront jamais réellement pourquoi tels leurres ont pris du poisson. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est en combinant différents facteurs agissant sur les différents sens du poisson que nous arriveront à la touche. Alors même si ces produits à base de phéromones humaine nous attractent probablement plus nous pêcheurs que les poissons, nous ne pouvons nier leur pouvoir d’attractivité !
Je terminerai cet article par une anecdote intrigante au sujet des phéromones. Elle n’a pas de rapport avec la pêche, mais elle vaut le coup d’être lue.
Tout commença le cinquième jour du cinquième mois de l’année 1921, le jour au cours duquel Coco Chanel dévoila son unique enfant : le n°5. Ce numéro aujourd’hui célèbre, a en partie bâti l’empire Chanel en lui rapportant plusieurs milliards de dollars. A l’odeur légère et florale, s’ajoute celle du musc grâce à l’utilisation de restes de glandes anales de civettes d’Abyssinie. Ce sont ces même glandes produisant des phéromones qui leurs permettent de marquer leur territoire. Et c’est en 1998 qu’une version synthétique de cette fameuse substance est créée par souci de respect des animaux.
C’est donc à la manière d’un chat (ou plutôt d’une civette) que Chanel a marqué son territoire pendant tant d’année. Que ce soit Keira Knightley, Audrey Tautou, ou Nicole Kidman, elles ont agrandi le territoire de Chanel à leur insu. Quant à Marilyn Monroe qui portait au lit deux gouttes de ce fameux numéro lors de ces nuits endiablées, sa chambre était-elle vraiment son territoire ? Celui de JFK, d’Arthur Miller ? Ou plutôt celui d’une civette solitaire ?
Article très intéressant au demeurant.