C’est une copie ! L’orfraie veut dire par là que telle firme aurait simplement copié un leurre, ce en quoi elle ne mériterait pas qu’on le lui achète.
C’est un discours que je ne peux plus entendre. Pour plusieurs raisons. La première, c’est que ses fondements sont erronés. Seule la loi permet de dire si un produit est la copie d’un autre. Tout le reste est pur fantasme. Un nouveau produit mis sur le marché doit réunir au moins sept points de différence avec ceux déjà présents. C’est à la fois très simple et très difficile, suffisamment simple en fait pour permettre la concurrence nécessaire à la baisse des prix, mais suffisamment complexe pour protéger les investissements des firmes. Or, on a beau dire, ce cadre légal est extrêmement pertinent. Aussi, les juges de moralité auto-proclamés sont de fieffés imposteurs, et je ne parle pas des chefs produits qui ont bâti toute leur carrière sur des shads, et qui viennent s’offusquer que tel shad copierait tel autre shad. C’est un comble…
Car, et c’est bien naturel, quand on est passionné par un domaine, on se construit un petit univers mental qui sécrète logiquement sa propre légalité, et qui nous raconte de petites historiettes qui nous aident à nous immerger dans notre jardin secret. Mais voilà : c’est un monde imaginaire, et derrière « le fétiche de l’objet » comme le disait Marx est embusquée une industrie avec ses règles propres. Or, si vous prenez deux pas de recul, vous admettrez avec moi qu’il n’y a guère plus de différence entre deux shads super innovants qu’entre deux « copies« . Sans cela, on n’appellerait pas cela un shad. CQFD.
Car ce n’est pas tout. Non seulement voir des copies partout consiste à se bercer d’illusions, mais c’est être victime du discours commercial qu’on prétend combattre. Ce discours sur l’original et la copie a en effet été monté de toutes pièces par une poignée de firmes, surtout nippones, qui ont eu du mal à d’un côté se faire une place sur le marché de Rapala, de l’autre à refermer la porte derrière elle. Les marques japonaises ont régler notre focale à la distance qui les arrangeait : incapables de constater qu’il n’existe aucun leurre japonais qui ne soit inspiré d’un leurre américain parfois plus vieux d’un siècle, nous avons fini par prendre les copies pour les originaux. Bien sûr, il y a de l’innovation chez les Japonais, il y en a même plus qu’ailleurs, mais à l’échelle légale ces innovations sont quantité négligeable. Il n’y a aucune équivalence entre une innovation sur le plan halieutique et une innovation sur le plan industriel ou légal.
Car la naïveté des tenants du discours sur l’original et la copie est encore plus totale que cela. Juste un exemple, pour vous dévoiler un peu les coulisses du business. Quand une marque projette un nouveau leurre, elle est confronté à un dilemme au moment de négocier avec l’usine : soit elle achète un moule, soit elle s’engage sur un temps d’occupation des machines. Voilà comment cela se passe : si la firme croit fort en son projet et qu’elle pense pouvoir protéger le produit, elle achète un moule à l’usine qu’elle rentabilisera petit à petit grâce au volume de ventes et à la protection légale qu’elle espère. Si elle est un peu hésitante, elle opte pour ce qu’on appelle un « moule ouvert ». Dans ce cas, l’usine s’engage à ne produire que pour la firme pendant un ou deux ans, mais ensuite, libre à elle, pour se rembourser le moule, de livrer n’importe quel acheteur. Dans le premier cas, c’est la firme qui endosse l’amortissement du moule, dans le second cas, c’est l’usine. La plupart des copies que vous trouvez sur le marché sont donc prévues dans le business plan de la firme ayant lancé « l’original ». Mais que fait alors cette firme ? Elle se plaint, elle pleurniche, elle essaye de convaincre les pêcheurs qu’elle a été honteusement copiée pour que les clients continuent à acheter son produit et non celui de la concurrence. Bref, elle essaye de gagner sur les deux tableaux. Et souvent, elle y arrive.
Mon conseil sera donc le suivant : laissez les firmes régler les litiges dans les tribunaux, elles n’hésitent pas à le faire quand c’est nécessaire. Concentrez-vous plutôt sur la qualité du produit : quel est son rapport qualité/prix ? Est-il adapté à la pêche ? Mieux adapté ? Moins bien ? Bref : choisissez le meilleur leurre, et c’est tout.
Salut Numa,
C’est la première fois que je laisse un commentaire sur ton site et je suis désolé de la tournure que ce dernier va prendre. Je sais tout le bien que tu apportes à la peche en France mais pour une fois, cet article est non seulement simpliste mais en plus potentiellement dangereux pour tes lecteurs.
Acheter une contrefaçon est un délit pénal, tu ne peux pas simplement conseiller publiquement aux gens d’acheter des copies et que ce débat est à régler par les firmes qui se battent pour protéger leurs innovations.
Quand tu dis qu un shad reste un shad ça revient au même que de dire qu’un tableau reste un tableau ou qu’une montre reste une montre.
On protège une création pour son originalité, sa distinctivité ou son aspect innovant. Un shad peut parfaitement être original au sens de la loi.
Je suis persuadé que l’innovation permettra à la pêche de continuer à évoluer dans le bon sens.
Encore une fois, ne prends pas personnellement ce commentaire qui n’est pas du tout gratuit mais les choses sont loins d’être aussi simples que ce que tu écris. J’en sais quelque chose, je suis doctorant en droit spécialisé en propriété intellectuelle. Si tu veux on peut en discuter de vive voix.
A bientôt, peut être au bord de l’eau.
Merci pour ton commentaire. Toutefois, je ne dis pas exactement d’acheter des contrefaçons de produits de luxe. Je dis simplement que ce que nous trouvons sur le marché français de la pêche est passé au crible, et que neuf fois sur dix cette copie est faite avec l’accord implicite du fabricant de l’original. Il y a chaque année des procès retentissant ou telle firme est condamnée à payer dix fois ce qu’elle a vendu de tel leurre. Tout le monde est bien sur ses gardes.
S’agissant de la simplification, elle est réelle, puisque j’ai décidé d’un angle pour cet article. Mais on peut trouver une simplification à tous les niveaux. Par exemple, prendre pour un présupposé insondable l’argument de la « propriété intellectuelle » est un peu léger. On sait d’où vient cette notion, on sait surtout qu’elle a fait son temps. On sait le mal qu’elle fait en pharmaceutique, et les dérives disciplinaires auxquelles elle conduit. Si je te « vole » une idée, tu n’es pas dépossédé pour autant de cette idée. Ce n’est pas la même chose que de te voler un tableau. Je sais que tu connais ces problématiques, je veux juste dire que si on s’en tient au gars qui achète des leurres Daiwa ou Savage ou Mégabass chez son détaillant, la question de la copie et de l’original ne vaut pas grand-chose.