Qu’est-ce qu’un pattern ? (part.5) Le leurre, un second rôle

Si vous avez suivi ce que nous avons dit depuis le début de cette série d’articles, vous vous êtes aperçu qu’une méthodologie du pattern sous-entend clairement que le tiercé dans l’ordre est : stratégie, technique, leurre.

IMG_4328 (1)Oui, le leurre arrive bien en queue des priorités à la pêche. Il découle même logiquement du reste, et son importance n’est pas si fondamentale qu’on le pense. C’est pourquoi le fanatisme à une marque est selon nous davantage du ressort de la croyance, du fétichisme ou de la superstition. Et c’est encore la raison pour laquelle il faut redonner au pattern toute sa prédominance. Il n’y a pas de « leurre de merde », ou de technique meilleure que d’autres, par contre il y a des techniques inadaptées aux conditions, des stratégies de merde et des patterns erronés, c’est certain. Mais alors…à quoi servent nos leurres ? Dans ce chapitre, nous allons tout de suite évacuer des notions certes importantes mais hors sujet quant à l’analyse de la méthodologie du pattern, et qui relèvent davantage de la psychologie. La dimension magique du leurre, par exemple, est réelle, et mériterait un article à elle seule, mais nous préférons camper ici sur l’analyse pure d’une démarche rationnelle entre le pêcheur et son leurre. Cela n’enlève néanmoins rien à la réalité et à l’importance d’un rapport affectif, voire animiste, du pêcheur avec son matériel ! Nous dirons quant à nous pour trouver une image poétique, que le leurre est un messager. C’est en cela que trouve sa pleine justification et explication le geste de lancer-ramener du pêcheur aux leurres. Car le pêcheur se sert de son leurre pour envoyer des messages puis ramener des informations. Dans un sens le leurre se fait le messager du pêcheur à l’intention des poissons, et dans l’autre le rapporteur de ce qu’il a vu. Vous sortez de l’eau votre longbill et vous trouvez à une branche du triple un peu d’herbier. Vous savez maintenant à quelle profondeur un certain cover se développe. Vous changez pour un spinnerbait que vous allez ramener juste sous la surface, entre la pellicule et les premiers herbiers. Le message que vous lancez est alors qu’une proie évolue au-dessus des herbiers. Un choc dans la canne, le leurre vient de vous indiquer qu’un poisson est venu attaquer le leurre sans se piquer. Sans doute un short bite, une touche timide. Vous changez la palette pour une Colorado de grosse taille, de manière à pouvoir aller moins vite, susciter plus de vibrations, tout en passant au-dessus des herbiers… Cette fois le poisson s’est piqué. Votre pattern vient de s’affiner grâce à votre leurre, ou plutôt vos messagers, car le longbill a été tout aussi important que la dernière version du spinnerbait dans votre succès. Vous pouvez tout autant le remercier.

Les leurres sont des messagers facétieux. Parfois comme les pigeons voyageurs ils ne reviennent pas et préfèrent rester peinards dans les arbres, mais surtout et plus sérieusement il est assez complexe de bien les choisir. Une réalité que le débutant ressent souvent durement. En effet, un leurre fonctionne sur le principe des stimuli. Oubliez cette vieille dichotomie incitatif/imitatif qui ne correspond à rien, ne serait-ce que parce que pour les poissons tout est naturel (comment connaîtraient-ils le concept d’artificialité ?), et parce que ce qui est imitatif est par essence incitatif et que n’est incitatif que ce qui imite un stimulus auquel répondent les poissons. Donc un leurre est un faisceau de stimuli. Le hic, c’est qu’on est en droit de penser, et on le constate souvent, que parmi ces stimuli certains peuvent se retourner contre nous. Prenons un seul exemple : la couleur. Une vibration adéquate, une forme adaptée, une profondeur de nage parfaite…Les brochets sont prêts à attaquer, mais voilà : la couleur ne leur plaît pas. C’est le capot presque assuré. Nous n’avons pas pris cet exemple au hasard. Nous l’avons vu, quand on établit un pattern, on cherche toujours à demeurer en deçà d’un certain seuil de précision. On veut être dans la cible mais pas taper trop juste. Et bien dans ce trop juste on peut fréquemment inclure les coloris. Il n’y a rien de plus embrassant pour un pêcheur que de devoir partir en quête du coloris exact. Car ils sont très nombreux… et les chances de tomber pile très faibles. Ainsi, dans l’élaboration du pattern, la question du coloris va paradoxalement se poser très tôt. Dès qu’il va s’agir de choisir un leurre, en fait. Mais ce que va chercher à faire le bon pêcheur aux leurres, c’est aussitôt éluder ce problème en retranchant la problématique coloris. Comment ? En choisissant un « coloris prudent ». Et voilà ce qui explique le succès planétaire des mêmes couleurs. Le watermelon pour les leurres souples, ou le ayu pour les leurres durs. Pourtant, le ayu est un petit poisson fourrage presque endémique au Japon. Il n’y en a nulle part en France, les poissons n’en ont jamais vus ! Mais il se trouve qu’il est l’un des coloris naturels les plus évidents, les plus sages, les plus passe-partout, les plus prudents, oui, qui soient.

IMG_207_2A l’ayu est adossé un autre concept d’opacité/transparence, qui est bien pratique lui aussi : par un savant mélange de peintures transparentes et phosphorescentes, le véritable ayu se laisse traverser par les lumières puissantes et réfléchit les faibles luminosités. Et là on dit merci les fabricants ! Donc, ce n’est pas que certains leurres sont dans l’absolu moins bons que d’autres, c’est qu’ils sont de moins bonne qualité, avec une peinture ayu qui n’en est pas, ou des triples inadaptés, etc. Quand Kevin Van Dam a créé son coloris Sexy Shad, il a en cela tout à fait répondu aux exigences de l’immense pêcheur qu’il est. Il a mis au point un coloris qui plaît suffisamment aux bass pour ne pas avoir besoin de trop se soucier de ce paramètre. Et c’est en cela que ce type de coloris est une révolution : il retranche du pattern un facteur. Et tous les facteurs que l’on peut retirer de la problématique pattern en simplifiant d’autant l’élaboration. Cela assure la rapidité de mise en place et l’efficacité. Car comme nous le rappelons sans cesse, c’est dans l’approximation que le pattern offre tout son avantage au pêcheur.

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