The carp strikes back, 1983. Rod Hutchinson

Nous annoncions dès l’article consacré au livre de Sharman, Carp and Carp Anglers, que la rupture qu’incarnera Maddocks sera d’abord celle de la rationalité contre une vision romantique de la pêche de la carpe. Maddocks n’est pas un rêveur. Faut-il alors voir dans l’illustration de la couverture de The carp strikes back une réponse à Maddocks ? Je le crois. Le regard égaré de Rod Hutchinson semble se perdre vers une carpe bondissante, mais à mieux y prêter attention, tout porte à croire que la carpe et le pêcheur de la couverture sont attirés tous deux par le soleil, ici symbole de la nature, et réhaussé par la dominante de verdure. La canne à pêche, qui sépare l’espace d’inscription du cliché et, partant, le pêcheur et la carpe, invitent ainsi à un dépassement de cette opposition — une réconciliation. Nous entrons dans un projet naturaliste…

Et si Hutchinson lui aussi remercie sa femme et ses filles, c’est en raison de la rédaction de l’ouvrage lui-même, accouchement douloureux qui laisse à penser qu’a contrario la pêche de la carpe n’a jamais rompu l’harmonie de l’existence de Hutchinson — au contraire. Les premiers mots du texte lui-même iront à Dick Walker, « le grand messie ». Comment mieux aller chercher la tradition vers ses origines-mêmes, pour lui dédier l’avenir ? Hutchinson le dit : il se sent le même qu’à ses débuts. Il semblerait que la révolution Maddocks ait glissé sur lui sans le toucher. Et revendiquant pour lui le syndrome de l’imposteur, Hutchinson prend soin de préciser que s’il était l’expert qu’on prétend, il ne passerait pas parfois une semaine bredouille. Le style tranche avec celui de Maddocks. Toute l’habileté de Hutchinson est d’ailleurs de ne pas forcer le trait, de simplement répéter ce qui a été dit avant lui : Maddocks ainsi n’apparaît pas comme une révolution, mais comme une anomalie. Et de laisser tomber le couperet : « Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose comme un expert de la carpe. Je n’en suis pas un, je n’en connais aucun. » the-carp-strikes-back-8931-p

D’ailleurs, son livre n’est pas un « livre sur la bonne et la mauvaise manière de prendre du poisson. (…) Ce dont j’essaye de convaincre, est que vous pouvez prendre des carpes et passer en même temps du bon temps. Vous n’avez pas à passer votre temps assis à observer, vous n’avez pas à rester collé à vos cannes, bondir à chaque tressaillement, pour mettre du poisson au sec. (…) Ce n’est pas la fin du monde si vous ratez une touche. » Le message est on ne peut plus clair. Et d’ajouter que s’il a pris des grosses carpes, c’est qu’il a simplement voyagé à travers tout le pays pour cela. S’il y a des carpes difficiles, c’est uniquement parce que le cheptel est réduit.

Je crois qu’il n’est pas utile d’aller plus avant dans la juxtaposition des deux discours. Maddocks et Hutchinson se situent bien dans un registre d’opposition, opposition dont les générations suivantes e chargeront de trouver — ou non — les moyens d’une synthèse. On est en tout cas en droit je pense de se demander si ce titre, « La carpe contre-attaque », visiblement inspiré de l’œuvre de Georges Lucas, n’est pas une manière de mettre en relief la manière dont Maddocks a effacé le poisson à l’avantage du pêcheur, poisson qui n’est plus chez Maddocks que l’objet du désir du pêcheur. Dans sa démarche naturaliste, Hutchinson est au contraire particulièrement sensible aux eaux où « les carpes se comportent comme elles le devraient ». Bien loin du challenge de la carpe anormalement maligne et finalement acculturée aux pêcheurs qui ravit Maddocks, Hutchinson aime les carpes qui se comportent selon lui naturellement. Et nous verrons dans le prochain article que Maddocks va comme à son habitude répondre, mais répondre par un « oui, mais » qui signifie « non » : la carpe qui se comporte naturellement est presque imprenable si on ne lui oppose pas tout le potentiel humain et civilisationnel…

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