Un coup du soir instructif — trashfly on the Cher river

Après le taf, j’ai pris l’habitude cet été d’aller emmerder les carpes et les chevesnes à la mouche.

C’est ainsi que j’ai découvert, au bénéfice d’un étiage sur le Cher, deux véritables spots à papa chubs, sur lesquels je me rends chaque soir pour essayer de les pendre à un palmer.

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Au-début, il m’a fallu pas mal de réglages. D’abord les palmers : en raison de la quantité de petits chevesnes qui nagent ici, il me fallait une mouche bien visible et qui sèche assez vite. J’en utilise de deux sortes : marrons ou noirs, parce que d’une heure à l’autre, d’un jour sur l’autre, c’est ou l’un ou l’autre. Il m’a fallu aussi les trouver ni trop gros pour ne pas essuyer des refus en plein jour dans ces eaux claires, ni trop petits pour ne pas balancer dans les arbres des chevesnes de sept centimètres. Vous voyez ce que je veux dire…

De même, vu la taille des pépères, jusqu’à soixante centimètres passés, il me fallait trouver un bon compromis : un Tectan de 16centièmes est refusé par les gros poissons, celui de 12centièmes m’a provoqué trop de casses. Vous aurez donc compris que 14centièmes est la panacée. En étant un peu souple sur le ferrage et pendant le combat, j’ai sorti des monstres de cette rivière ! IMG_4370

Mais la caractéristique de mes spots, c’est qu’ils se situent sous des ponts. On sait l’attrait qu’exercent ces ouvrages sur les poissons. En particulier, les plus gros poissons squattent l’enjambement le plus profond, ce qui créé ces concentrations spectaculaires de masta chubs.

Mais cela implique une donnée : l’ombre. Les deux premières sorties, je me suis fait avoir. Je repérais les poissons en rentrant du boulot en me plaçant sur le pont, mais quand je revenais une heure plus tard pour pêcher, j’en étais rendu à deux hypothèses hélas toutes aussi plausibles l’une que l’autre : soit je suis nul, soit les poissons ne sont pas là.

IMG_4364Et en effet, l’ombre portée sur l’eau a une incidence formidable. Les poches de lumière plaquées sur l’eau concentrent les poissons, et quand l’ombre gagne toute la largeur de la rivière, les poissons se répartissent selon d’autres facteurs, topographiques pour l’essentiel, ce qui correspond à une vaste dispersion. L’effet concentrationnaire recherché est perdu.

J’ai donc procédé différemment, et en effet j’ai immédiatement enregistré de meilleurs résultats : la compétition alimentaire, la certitude que les poissons sont là, tout jouait en ma faveur, aussi longtemps en fait que je venais assez tôt pour bénéficier des bonnes conditions de luminosité. Le meilleur moment étant en fait le moment où l’ombre commence à recouvrir le spot, que les poissons se mettent à bouger et que, l’obscurité aidant, le piège est moins visible. Mais la fête est de courte durée : une fois les poissons répartis sur toute la surface disponible, cela redevient un casse-tête. IMG_4351

J’ai alors décidé de suivre les poches de lumière. A mesure que le soleil déclinait, je suivait l’ombre portée en remontant la rivière. Quand on avance doucement de cette manière, on pêche soigneusement, on a le temps d’observer, et avec quelques écarts latéraux on pêche successivement les meilleurs spots.

Mais tandis que je procédais de la sorte, je découvrais un problème. A la limite de l’ombre et de la lumière, aucun chevesne ne monte, sinon les plus petits. Je découvrais ce phénomène alors que je touchais aux limites des capacités de mes waders — vous savez, quand vous commencez à vous inquiéter pour votre portable… Bref, les poissons mordaient dans la lumière, mais trop loin pour mes faux-lancés, et je ne comprenais pas pourquoi. C’est alors que je remarquais que d’autres ombres filaient sur la rivière : les voitures et les passants, avec le soleil rasant, projetaient sur l’eau des ombres mobiles longues et visiblement inquiétantes pour les poissons. De plus, le soleil étant maintenant assez bas, il apparaissaient dans l’encadrement d’une pile de pont : j’étais maintenant sur un spot à la fois totalement éclairé et chahuté par des ombres menaçantes. J’étais dans ma caverne de Platon.

J’ai alors fait demi-tour et je suis remonté sur le pont. La configuration de la lumière avait totalement changé, elle s’était même inversée : au lieu d’une ombre massive, le pont dessinait sur l’eau de fines tiges sombres correspondant aux piles de pont, au milieu d’un fantastique à-plat de lumière. Et les chevesnes cette fois ne se postaient pas dans la lumière, mais étaient proprement alignés à l’ombre. Je redescendis dans l’eau puis peignais ces ombres, avec succès.

IMG_4360Mais en peu de temps la lumière se trouva plus diffuse, on ne distinguais que péniblement l’ombre de la lumière. Finalement le ciel s’éteignit dans un reflet bleuté. Il y avait des gobages un peu partout, seulement distribués par la topographie du fond que je connais maintenant mieux. Le coup du soir ne fut pas excellent. Les jours suivants, je sortirai de l’eau avant celui-ci.

Cette épisode appelle à une conclusion importante, valable pour toutes les pêches. Un axiome que je dois à Hiroshi Takahashi qui m’a dit un jour : « les poissons cherchent la différence », et que je formulerais de cette manière : les poissons ne cherchent rien en particulier, sinon la différence en générale.

3 Commentaires

  1. Qu’est ce que ça fait du bien l’anti-conformisme dans la pêche ! merci Numa !

  2. Toujours un régal à lire mon courriel romualdpecheur89@hotmail.fr à bientôt Numa .

  3. excellent tout simplement

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