Je viens de trouver une vidéo d’une émission télévisée (ne me demandez pas laquelle). Vous pouvez la visionner ici. Il y a plusieurs choses à distinguer dans cette vidéo. Tout d’abord, on y trouve la meilleure raison pour ne pas répondre à l’invitation des médias mainstream, cela semble évident. Ils ne nous apportent strictement rien. Ensuite et par contre, cette séquence nous donnent l’occasion de comprendre la manière dont nous sommes perçus par les non-pêcheurs (même si ici l’angle est particulier et rejoins le premier point — le mépris de classe).
Enfin, il faut relever que nous échappons pour une fois à la critique « verte », puisqu’il n’est pas fait mention de la souffrance animale, on n’évoque pas même le no kill. Cela veut dire que la question ne s’est pas posée à la production. D’ailleurs, le poisson est-il tout simplement absent de la séquence. Cela s’explique par l’équipement mental des « journalistes » qui, formés à la communication (en particulier politique), s’intéressent aux failles et aux ratés en terme de maîtrise de l’image (d’ailleurs le journaliste commence par relever que l’événement n’intéresse aucun média). Le fond ne les intéresse pas. Quand Yann Barthès réalisait son Petit Journal sur Canal+, il réussit même cet exploit de parler chaque jour des politiques sans jamais parler de politique. Un coup de force, ou comment se faire passer pour subversif sans rien subvertir.
Ce que nous faisons ne les intéresse donc pas, et d’ailleurs ils ne portent pas de jugement là-dessus. Comme je l’ai dit, ils vont bien plutôt souligner les contradictions ou les incohérences du discours (comme la convocation du concept très indéfini de sportivité). C’est la forme qui est mise en procès. Si le public éclate de rire quand Fernand de Castro ouvre la bouche, c’est que la juxtaposition des termes de “championnat” et de “pêche” suffit à créer un effet comique (bien préparé par la complicité des deux présentateurs). Fernand n’a rien à voir là-dedans.
Il faut d’ailleurs ouvrir une parenthèse au sujet de cette maladresse inouïe — mais instituée dans la pêche, — qui consiste à voir de la pêche à la carpe là où il s’agit de pêche de la carpe. Si ce n’est pas là une faute de français, c’est au moins une véritable verrue sémantique puisque l’expression « la pêche à la carpe » suggère qu’on glane les carpes comme on pêche aux moules, ou pire qu’on pêche avec des carpes en appâts comme quand on pêche le silure à la carpe vivante. Or, quand on voit que cette bévue est inscrite sur les camions de la plus grosses société française, qu’elle était même le titre d’un célèbre site Web traitant de pêche du bar, on comprend pourquoi il y a loin entre les prétentions en terme de communication des acteurs de la pêche, et les attentes minimales d’une population citadine, souvent lettrée et diplômée du supérieur (ceux qu’on appelle sans savoir de quoi on parle les « bobos« ).
Or, l’on voit avec une cruauté éclatante, que si la pêche de la carpe s’est construite avec une cohérence qui ne laisse pas de doute, les tentatives pour l’organiser en événementiels dotées d’une patine acceptable sont des épreuves douloureuses. Imaginez que le reportage ait porté sur un petit enduro, une rencontre amicale entre copains d’un club carpe : il n’y aurait pas grand-chose à redire et l’émission n’aurait pas eu lieu. Mais donnez maintenant à cet enduro les prétentions d’un titre officiel et mondial, et vous obtenez les conditions parfaite du ridicule. Ce n’est pas le championnat qui a réussi à faire se déplacer l’équipe de Barthès, c’est l’échec de la communication halieutique qui est venue s’échouer à la télévision. Ce n’est donc pas ce Championnat du Monde, au demeurant honorable, qui doit porter seul une responsabilité forcément collective. Pour le dire autrement : dans le monde de la pêche, nous faisons tous de la merde.
Il y a en effet quelque chose à repenser dans la pêche, mais je prédis que cette chose-là ne sera jamais interrogée, parce que les pêcheurs, en tout cas ceux qui se présentent comme les médecins de maladies dont ils sont en fait les seuls à souffrir, consciemment ou inconsciemment n’auront qu’une idée en tête : nous faire aimer de ceux qui nous méprisent. Or, il n’est pas besoin d’être fin psychologue, pour connaître que ce n’est pas ainsi qu’on procède…
Qu’on me comprenne bien : ce court billet, écrit à la va-vite sur un coin de mon bureau, ne vise ni Fernand ni le Groupement National Carpe qui font un boulot démentiel (je pense là en particulier au Forum de Montluçon), mais une certaine perspective, réglée par des marabouts de petites annonces gratuites sur des problématiques imaginaires elles-mêmes alignées sur des solutions (comprenez des produits de service) immédiatement disponibles pour la vente. Depuis plusieurs années en France, on s’est inventé des maladies dans le seul but de prescrire des remèdes. Le fait même que plusieurs acteurs très sérieux utilisent l’expression «génération» («génération leurre», «génération pêche», «génération no kill»…) montre qu’il nous manque encore la compréhension la plus élémentaire de ce qui se joue.
Essayons donc de comprendre ce que nous faisons, nous verrons ensuite s’il faut le faire-savoir… et comment le faire-savoir.