Les dernières années ont vu une inflation, je dirais même une course au ratio chez les fabricants de moulinets. Tandis qu’il y a peu de temps encore le Dog Fight (dont la version high speed affiche 5.7:1 de ratio) faisait encore figure d’exception remarquable parmi les tambours fixes, et que 7.1 était le nombre magique du baitcasting, aujourd’hui les spinning d’un ratio supérieur à 5 sont légion et quant aux tambours tournants, ils atteignent des ratios de l’ordre de 9.0:1 !
(Petit vade mecum : spinning = tambour fixe, (bait)casting = tambour tournant, tambour = bobine.)
Mais parenthèse : à quoi correspondent ces chiffres ? Il faut tout d’abord opérer une distinction entre ratio et récupération. Si la seconde dépend évidemment de la première, la première a une signification plus large. Le ratio est en effet un précieux indice de fluidité. Je sais que vous êtes nombreux à évaluer cette donnée sous l’angle du nombre de roulements à billes, mais c’est une triple erreur :
- vous ne connaissez pas la qualité de ces roulements : je fais là une incise toute personnelle, mais à mon avis mieux vaut trois bons roulements que dix mauvais ;
- la fluidité qui résulte (ou non) de la présence (ou non) de roulements à billes dépend de la conception générale du moulinet, d’ailleurs c’est elle qui commande la présence ou non de roulements à tel ou tel endroit,
- le ratio est une donnée beaucoup plus fondamentale, puisqu’il indique la transmission de force nécessaire au bon fonctionnement mécanique.
Et vous allez comprendre pourquoi. Le chiffre que vous voyez inscrit sur votre moulinet s’exprime ainsi : x.y:1. Le chiffre « 1 » ne varie jamais ; il correspond à un tour de manivelle. Devant les deux points est donc exprimée une résultante, ici un total de rotations. Dit de cette manière, ce n’est pas clair, mais voici : lorsque un moulinet spinning possède un ratio de 4.8:1, le rotor effectue 4,8 fois le tour de la bobine à chaque tour de manivelle imprimée par le pêcheur. Avec un moulinet casting cette fois de ratio 6.3:1, la bobine effectue 6,3 tours sur elle-même à chaque tour de manivelle. On peut ainsi dire sans trop prendre de risque que le moulinet mouche qui dort dans votre garage est certainement un 1:1, à savoir : un tour de bobine par tour de manivelle.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le ratio est contractuel et la récupération indicative. La récupération par tour de manivelle dépend du remplissage de la bobine. Si votre bobine est presque vide, sa circonférence n’est plus la même. Je me rappelle qu’il y a quelques années, Carpe Magazine avait, dans l’hilarité générale, commis un grand test fracassant façon 60 millions de consommateurs, où étaient dénoncés les mensonges des fabricants. Ces derniers étaient tous confondus quant aux vitesses de récupération annoncées. Pourtant, le journaliste précisait lui-même dans l’article que, par souci de facilité, les moulinets étaient testés moyeux vides…
De cette petite lacune mathématique ressort que le ratio n’épuise pas la récupération. Il n’en est que condition de possibilité. Par exemple, vous pouvez transformer n’importe quel 6.3 en faible vitesse de récupération, tout simplement en y installant une faible longueur de corps de ligne. De même, la taille du rotor joue beaucoup dans la vitesse de récupération, etc.
Cette parenthèse refermée, revenons à une notion soulevée presque en passant, mais qui a toute son importance : la transmission de force. Les blogs, les forums, les magazines n’en parlent jamais, alors que c’est le nerf de la guerre de l’industrie du moulinet de pêche, car c’est là le terme-clef sous lequel est récapitulé le moulinet sous forme de concept fonctionnel. Ce n’est donc pas un hasard si Shimano est d’abord un fabricant de dérailleurs de vélo : la transmission de l’énergie humaine à la machine est le point commun entre ces deux activités. Pour la pêche, comment cela se traduit-il ?
C’est très simple : pour tourner la manivelle, vous imprimez une certaine force sur celle-ci. La transmission de force est la capacité du moulinet à restituer tout ou partie de cette force, dans le rotor pour un tambour fixe, dans la bobine pour un tambour tournant. Et là vous comprenez tout de suite la très grande force ET la très grande faible faiblesse des tambours tournants :
- de part leur leur conception, la transmission de force est maximale ;
- du fait que c’est la bobine qui tourne, cette transmission de force se paye d’une vitesse de récupération très réduite.
Ces deux facteurs étant intimement liés. Mais durant des années, l’enjeu n’a pas été pour les fabricants d’augmenter la récupération des moulinets à tambour tournant en accroissant leur ratio (qui auraient alors perdu en transmission de force), mais d’augmenter la transmission de force des moulinets à tambour fixe sans descendre en vitesse de récupération (leur gros avantage, la démultiplication étant plus simple à obtenir). C’est la raison pour laquelle vous vous êtes amourachés de fabricants asiatiques : Shimano, Okuma, Daiwa, se sont lancés dans une course éperdue à la transmission de force, ce qui n’était pas pour déplaire au pêcheur français, aveugle aux atouts des tambours tournants.
Tant et si bien que petit à petit, Shimano d’abord, puis Daiwa et Okuma ensuite, se sont approchés avec leurs moulinets à tambour fixe des performances en terme de transmission de force des moulinets à tambour tournant. C’est d’ailleurs ce qui a mis un frein à la propagation des moulinets à tambour tournant en France. Mais cela ne peut se faire sans difficulté : qui se souvient des premiers bigpits lancés par Fox ? Des moulinets à tambour fixe type surfcasting, qui affichaient une vitesse de récupération prodigieuse ! Quand on tournait la manivelle, on voyait en effet le rotor s’emballer comme un ventilateur, et c’était très impressionnant. Mais dès qu’il s’agissait de ramener un montage, toute la force de transmission s’était déjà évaporée dans la mécanique, laissant le pêcheur suer comme un bœuf pour ramener son plomb !
La transmission de force est donc une donnée primordiale. Elle se joue à au moins deux endroits : à l’entrée et à la sortie de la mécanique. A l’entrée elle permet au pêcheur de mettre en branle la mécanique sans effort, à la sortie elle cherche à minimiser la perte d’énergie liée aux frictions pour équilibrer le bilan. Un bon moulinet restitue 90% de l’énergie du pêcheur. Dans cette équation très complexe, tous les éléments comptent : glisse des anneaux, rotation du galet… et leurre.
La meilleure transmission de force des nouveaux moulinets se voit d’ailleurs à ce détail : tandis qu’il y a quinze ans il était presque impensable de pêcher crankbait autrement qu’en casting et autrement qu’avec un ratio inférieur à 5.3, désormais on voit de plus en plus de pêcheurs opérer en spinning ou avec leur casting 6.3. J’ai moi-même encore en ma possession un 4.9:1 mais il est vrai que je l’utilise moins. J’ai aussi un bigbait 5.1 que j’utilise beaucoup, mais uniquement parce qu’il me permet de pêcher plus lentement à la Line Thru Trout (il est en effet moins fatiguant de pêcher à la même vitesse avec un ratio lent que plus lentement avec un ratio plus élevé). Mais d’où vient alors que le ratio des moulinets à tambour tournant augmente ?
On pourrait penser qu’un genre de compétition avec les tambours fixes en est à l’origine. C’est à moitié faux. Il est vrai que la limitation des baitcastings demeure leur vitesse de récupération, généralement entre soixante et soixante-dix centimètres par tour de manivelle, soit l’équivalent d’un petit moulinet à tambour fixe (taille 1000 à 2500). Mais la vraie raison est ailleurs. Il vient d’une nouvelle pratique : le baitfinesse.
Cette pêche en effet possède ses exigences propres : lancer de tout petits leurres avec un corps de ligne relativement épais, souvent en fluorocarbone. L’équation ainsi posée, elle ne comporte qu’un output : le baitcasting. Mais comment permettre à un moulinet à tambour tournant de lancer de petits leurres ? La technologie d’alors permettait à un lanceur expérimenter de passer en dessous des cinq grammes sans trop de souci. Mais il fallait en outre que le moulinet se comporte comme un moulinet type Texas, id est possède un ratio élevé pour pêcher dans les obstacles et surtout dans le courant (le baitfinesse a d’abord été pensé pour la truite). Une partie de la solution a alors été d’alléger la bobine au maximum, si possible en deçà de quatorze grammes, en la rendant moins creuse et en l’ajourant au maximum. D’un diamètre plus élevée et de moindre contenance, elle se trouvait ainsi à la fois d’un poids acceptable et dotée de meilleure propriétés mécaniques. On a ainsi pu augmenter le ratio, donc la vitesse de récupération, sans trop de déperdition en matière de transmission de force. Le Quick D-Lite est un bon exemple de ces moulinets qui ont rencontré un fort succès pour le baitfinesse en affichant et un ratio de 7.1 et une bobine allégée.
En réalité, on savait déjà élever le ratio jusqu’à 7.1 des baitcastings, mais c’était là une limite théorique qu’on réservait aux leurres sans inertie sur la ligne : topwaterbaits, lipless, etc. de plus, certains fabricants se sont arrangés pour proposer des 7.1:1 sans gain de vitesse de récupération, juste pour pouvoir afficher le chiffre de l’éternité sur leurs moulinets. Mais aller jusqu’à 9.1:1 ne peut se faire seulement en trichant. Il faut apporter des solutions techniques. Aussi, quand on voit que cette année Abu Garcia, Daiwa et Quick proposent de tels moulinets, on est bluffé de constater à quelle vitesse les fabricants s’alignent sur la concurrence !
Chez Quick, c’est le Speedcore qui affiche un ratio de 9.3. Mais Quick propose aussi un spinning, le FZ 100-400FD, avec un ratio de 6.2 ! Il faut comprendre que pour un moulinet à tambour fixe, un ratio supérieur à 5:1 est déjà rapide, précisément en raison de la difficile transmission de force. Ainsi, une taille 4000 peut prétendre à quatre-vingts centimètres par tour de manivelle, là où notre FZ400FD affiche plus d’un mètre ! Ce sera un moulinet précieux en mer ou en rivière à fort débit, ou pour celui qui veut pêcher en texan en spinning plutôt qu’en casting, mais c’est surtout une prouesse technologique, car le Speedcore comme le FZ seront vendus moins de cent euros ! Impensable il y a seulement trois ans… Qu’est-ce que cela veut dire ?
A mon avis, il ne faut pas faire dans l’angélisme : que Quick puisse proposer à moins de cent euros des moulinets d’un tel ratio signifie tout simplement que longtemps la R&D n’a pas regardé de ce côté-ci. Comme expliqué plus haut, la course à la transmission de force pour les tambours fixes avait avantageusement laissé dans l’ombre la problématique de la vitesse de récupération, tant pour les moulinets spinning que casting. Le baitfinesse a alors enclenché une nouvelle variable d’ajustement, et de vous à moi, je pense que les fabricants ont tout simplement découvert qu’il n’était désormais pas si difficile d’aller jusqu’à 9.1, quitte à tricher un peu. Il faut ajouter à cela que le marché de la carpe, devenu colossal, a imposé peu à peu l’exigence de moulinets à tambour fixe à fort ratio. Le gain de transmission de force des moulinets spinning a donc été à nouveau transformé en ratio.
Mon conseil serait alors de réfléchir en terme de transmission de force, avant tout le reste. Cela vous aurait permis de ne pas acheter un moulinet Fox première génération (j’ai envie de dire lol) ou de continuer à simplement évaluer un moulinet en lui imprimant deux tours de manivelle dans le magasin. (Si moi-même je le fais, c’est que j’évalue par là l’atout de vente du moulinet, mais je ne pense en rien à ses qualités halieutiques.) Il est évident qu’un ratio élevé aura davantage tendance à résister un peu quand on actionne la manivelle, même et surtout quand il possède pas mal de roulements à billes, mais cela ne veut pas dire qu’il ne se conduira pas comme un tracteur quand il s’agira de « treuiller » des leurres. A l’inverse, si votre ratio 9.1 casting ou 6.1 spinning tourne comme une horloge dès la prise en main de la poignée, ce n’est pas pour autant bon signe : il lui manque peut-être au départ l’inertie qui lui permettra de restituer de la puissance au rotor ou à la bobine. Le rotor en graphite que vous déplacez sans effort à vide exigera alors un effort exponentiel quand il sera chargé de fil, d’un leurre, voire d’un poisson, et l’horloge se transformera en cadran solaire avec à votre charge de faire tourner la terre…
Un bon test de transmission de force est de laisser pendre un plomb d’une cinquantaine de gramme sous la canne, puis de simplement mouliner. Vous verrez très vite l’envergure réelle de votre moulinet…
Car c’est au niveau des high speed que se joue la difficile carte des roulements à billes. Il serait illusoire de vouloir établir une règle absolue concernant cette pièce mécanique, mais il n’est pas erroné de dire que si sur un faible ratio ils sont parfois superflus, ils sont beaucoup plus précieux sur un high speed. Un roulement à billes n’a en effet qu’une fonction véritablement impérieuse : la jonction pivot, mais je ne vais pas me risquer à des explications que je ne maîtrise pas. Ce que je veux dire par là, c’est que la réduction des frottements est un effet secondaire du roulement, ce n’est pas sa raison d’être première. Ce n’est pas même sa fonction seconde, puisqu’en réalité l’installation de roulements à billes vise à réduire l’usure des pièces et ainsi améliorer la longévité du moulinet. C’est pourquoi les roulements que vous trouvez sur les moulinets Quick sont souvent scellés : en interdisant l’entrée de poussière, de sel et d’eau, le scellage garantit la longévité du roulement — c’est tout.
Mais le roulement à billes — c’est vrai — a aussi ce pouvoir d’améliorer la fluidité. Je pense qu’en hiérarchisant ainsi les usages du roulement à billes, vous comprenez mieux pourquoi le nombre de roulements d’un moulinet n’est pas une information si parlante que cela — surtout sur un petit ratio. Mais encore une fois, on comprend pourquoi un high speed en exigerait beaucoup : en limitant les frictions mécaniques, les roulements améliorent tendanciellement la transmission de force. Voilà pourquoi le Révo Rocket et son ratio de 9.0:1 possède pas moins de dix roulements. Encore faut-il trouver les solutions physiques pour que le pêcheur ne peine pas à actionner cette longue série de roulements…
L’une des raisons pour lesquelles j’ai écrit cet article est bien sûr l’arrivée du Quick Speedcore, le premier ultra high speed vendu moins de cent euros par une grande marque. J’ai été saisi de constater que ce moulinet capable de 99cm/tmv possédait avec ou malgré ses onze roulements à billes une mécanique aussi docile. Il faudra voir à l’usage quelle est sa plage de confort, mais s’il tient ses promesses, s’il est aussi fiable que D-Lite qui m’avait déjà beaucoup surpris à l’époque, alors il faudra désormais compter avec lui ! Parce que comme nous pourrions le dire chez Quick : nous, c’est le coût !
Pour finir, et récompenser la patience de ceux qui ont le courage de me lire jusqu’au bout : un petit jeu avec la vidéo ci-dessous.
L’indice est très simple : l’innovation de ce moulinet a à voir avec le présent article. Pour participer, il vous faudra remplir le formulaire de contact en page d’accueil de ce blog (et surtout pas en commentaire !). Date limite de participation : 31 décembre minuit.
Salut, concernant ce moulinet je pensais a un double ratio, par exemple 5.3 et 6.3 en changeant de position le levier comme on peu changer l’anti retour avec ou sans? A++
c’est pas mal, c’est assez proche de la bonne réponse. Mais je peux déjà dire qu’elle a déjà été donnée (il fallait répondre en utilisant le formulaire de contact).