Ned rig, est-ce bien pour nous ?

En France, l’irruption, j’ai même envie de dire l’effraction du Ned rig coïncide moins avec une réelle attente des pêcheurs qu’avec un vrai besoin de la part de quelques marques : écouler une marchandise. Il y a eu en effet outre-Atlantique un véritable engouement pour cette présentation, au point que les catalogues états-uniens en sont bondés. Cela n’en fait pas moins du Ned rig un montage fort intéressant, ne serait-ce que d’un point de vue historique. Un peu de culture pêche ne fait pas de mal. Mais d’un point de vue technique, est-ce bien pour nous ?

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Tout commence avec des têtes plombées et des vers en plastique (worms). En fait, tout commence toujours par le jigworm, affirme franchement Ned Kehde lui-même. Et sans doute est-ce ce phylum qui m’a intéressé bien avant le montage lui-même. D’une certaine manière, il n’y aurait pas de montage Ned s’il n’y avait eu de worm. J’écris « worms » mais les pêcheurs avaient déjà récité leur zoologie habituelle lorsqu’ils s’arrêtèrent plus spécifiquement sur le worm ; sur leur tête plombée ils avaient déjà fiché des lanières de porc, des poils de chevreuil, ainsi que les artefacts habituels que sont les minnows, les grubs, etc. Mais toute la question fondamentale qui amènera à la solution Ned Rig semble selon Ned Kehde s’être en quelque sorte recroquevillée autour de la question du jigworm. Comprendre le Ned rig, c’est donc comprendre son historicité.

Comprendre cette histoire est donc probablement le chemin le plus court vers la compréhension du Ned rig. Et comme le précise Ned Kehde dans un article passionnant d’In-Fisherman, c’est une histoire vieille d’un demi-siècle qu’il faudrait écrire pour expliquer la généalogie du montage qui porte aujourd’hui son nom, et même de bien plus d’un siècle si l’on voulait parler des premiers vers en plastique. Nous sommes dans le temps long. Toutefois Ned Kehde ne va pas s’en rappeler qu’il faut attendre la fin de la seconde Guerre Mondiale pour que le succès du worm se généralise au point qu’une véritable réflexion sur son meilleur usage ne débute.

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C’est ainsi que dans les années 50 arrive le premier gard (le balai anti-herbe, quoi). Des compétitions commencent à être remportées grâce au jigworm, et la machine à s’emballer. Les contraintes de la pêche au worm vont ainsi conduire à la création des hameçons à hampe hyper longue. Ned Kehde a raison : le jigworm, c’est la matrice. C’est ainsi qu’il y aura polémique pour savoir si certains leurres sont des Senko-like (comprenez des leurres inspirés du célèbre Senko), ou si le Senko de Gary Yamamoto est bien plutôt copié du non moins célèbre mais peu ou prou oublié Beetle des années 60…

Ca, c’est pour le worm. Mais dans jigworm il y a jig, aussi. La tête plombée, sacrée non. Or, même s’il existait déjà auparavant un modèle de tête plombée plate, c’est en 1970 que Charlie Brewer provoque une petite émotion en combinant un hameçon à une telle tête plombée aplatie, qu’il ornait d’un worm pour pêcher de manière très minimaliste. Très, très minimaliste, même. C’est le fameux « do nothing » qui venait de naître (sans rien faire ?). Ce montage sera très utilisé en tournois pour garnir son vivier de keepers avant d’essayer de changer ceux-ci pour des poissons plus gros, mais par d’autres approches (comme le crankbaiting par exemple).

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Car on s’en doute : quand les populations de poissons sont importantes, ce qui manque au jigworm, c’est la sélectivité. Son succès n’est alors pas encore vraiment acquis, même si son pouvoir lors des pêches hivernales semble démontré. En toute logique on commença donc à augmenter la taille du worm, et au milieu des années 70 les modèles de six pouces apparaissent. Dans la demi-décennie qui suit, la tête plate, qui semble si bien convenir aux worms, se décline chez Gopher Tackle (dont j’ignorais jusqu’au nom avant de rédiger cet article) avec la Mushroom Jig Head (qui ressemble à une moitié de tête plombée). Ca ne vous rappelle rien ?

Puis viennent les années 80 et son fort virage technique (homologue au tournant libéral Reagan/Thatcher, mais nous en reparlerons un autre jour). Il y a d’abord l’explosion des têtes style darter, phénomène très californien qui cogitait beaucoup autour du tropisme du shaking, mais c’est surtout en Alabama que reprend à qui mieux-mieux la réflexion autour de la combinaison tête plombée / hameçon pour worm, et — comble de l’affront pour la Californie, — c’est en Alabama que naît la véritable « shaky head ». Si bien qu’à grands renforts de procès et de brevets, c’est encore aujourd’hui Davis Industries qui fabrique des shaky heads pour de grandes firmes comme Z-Man.

Mais on a aussi pu voir des pointures comme Aaron Martens fabriquer leurs propres shaky heads dans leur garage… Il faut dire qu’au début des années 2000, tous les circuits de compétition étaient obsédés par le shaky head jig. Même Rick Clunn, qui aurait sans doute préféré promouvoir ses crankbaits, s’y était remis. Et comme vous avez pu le lire à l’époque dans feu ma revue Predators, Kevin Van Dam himself a remporté l’Elite 50 avec ce montage. Au même moment, un Japonais pétait le FLW de la même façon… Le mal était fait : il fallait branler du lombric.

20220203085723_rylf0vxp9344cg448og0g4kgcokkgw804swcoog08g80ow84oLa mode passa pourtant un peu, mais le procédé était durablement installé parmi l’arsenal habituel de la pêche finesse. Parallèlement, comme le jigworm semblait une affaire pliée (ce qui n’est pas bon pour les affaires), les fabricants tentèrent de faire la différence avec leurs moyens propres : on vit ainsi Lunker City améliorer considérablement les matériaux employés tandis que d’autres mettront pour la première fois du titane dans le gard ou du tungstène dans la TP. Tant mieux pour nous, mais le gain demeure faible. On trouva aussi des systèmes pour que le leurre ne s’échappe pas trop facilement de l’hameçon, et d’une manière générale tous les procédés de rétention que vous connaissez actuellement sont nés d’une réflexion autour d’un jigworm. Enfin, et comme vous vous en doutez, on ira couper les cheveux en quatre et imaginer toutes les courbures d’hameçon et angles d’attaque de la pointe… C’est bien, mais aucune véritable rupture à l’horizon.

Notons toutefois que dans cette recherche alchimique différentes formes de tête plombée vont naître, et contrairement à ce que je croyais moi-même il appert que les formes football sont assez récentes. Mais si vous m’avez suivi, et si vous mélangez des éléments comme : têtes plates, shaking, worms, il était évident que le montage Ned allait advenir. Quoi de plus adapté en effet au shaking, qu’un leurre type worm, flottant, maintenu mieux verticalement qu’il est accroché à une TP de forme « aspirine » (comme disent les Américains) ?

20220203085616_576srgjgfog0ck4s00c48s4owowwsgwww4ow40cs4cw8w0884kOr, le shaking, c’est le do nothing de l’hyperactif. Et qu’on le veuille ou non, nulle part le do nothing, tremblé ou pas, n’est mieux à sa place que sur un nid… Le montage Ned, la réflexion autour de ce montage, a à voir avec le bed fishing. Le bed fishing n’épuise bien sûr pas les potentialités du Ned rig, mais le bedfishing est le contexte caché du montage Ned, peut-être son arché. Rappelez-vous alors le titre de cet article : « Est-ce bien pour nous ? ». Deux sens possibles et deux réponses que je pense peu discutables : 1) le Ned rig nous était-il destiné ? R : Non, le black-bass n’est pas l’espèce dominante et le bedfishing n’est pas dans nos pratiques halieutiques 2) Le Ned rig est-il un bien ou un mal ? R : Cela dépendra de nous mais je crois résolument qu’il est un bien si nous parvenons à isoler ses modalités les plus pertinentes pour nous, puis les intégrer à nos patterns, voire à en créer de nouveaux pour l’y accueillir.

C’est donc une nouvelle fois à nous, pêcheurs français — comme nous l’avons toujours fait, — de tourner la règle, le mode d’emploi, de traduire la notice de l’anglais vers le français pour trouver nos propres modes d’usage. Et ne dit-on pas que bien traduire, c’est bien trahir ? La question devient alors : que peut être pour nous un montage Ned purgé du do nothing, du shaking, et finalement du bed fishing ? Pour la perche ce montage est extraordinaire… Alors à nous de jouer !

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