Le pattern à trous : un powerfishing mis sur la tête

Tout le monde a entendu parlé du junkfishing. Cette approche consiste à ne privilégier aucun pattern en les essayant tous, selon le bon principe qu’à la pêche mieux vaut partir sans apriori. Popularisé par Mike Iaconelli, ce non-pattern lui a valu de nombreuses victoires spectaculaires en compétition, et a permis la capture de bon nombre de poissons record à travers le monde. Mais cet article ne traitera pas de junkfishing. Car si nous en reprenons le principe, c’est pour le sertir paradoxalement d’un pattern…

Commençons par une anecdote : lors d’une finale du Défi Predators, Manu Norena et Ryusuke se retrouvent le deuxième jour à pêcher le même secteur, suffisamment vaste pour accueillir deux bateaux, mais où les poissons, éparpillés, témoignaient du stress de la première journée d’overfishing. Pour le dire simplement, ils étaient très difficiles à faire mordre !

Manu et son acolyte Baptiste essayèrent plusieurs patterns, et il leur a bien semblé plusieurs fois le trouver, mais systématiquement la touche ou la capture restait unique. Impossible de prendre plus d’un ou deux poissons d’affilée. Tout se passait comme si les poissons suivaient de courts cycles d’alimentation ou d’activité, suivis de longues périodes d’atonie. Ils remarquèrent alors que Ryusuke et Greg semblaient mieux s’en sortir. Surtout : plus le temps passait, plus Ryusuke et Greg enregistraient de touches, tandis que Manu et Baptiste en restaient à quia de leur pattern…

Piqué au vif !

Un peu piqué au vif (sic), un peu curieux, Manu après la compétition posa directement la question à Ryusuke : quel était le pattern ? Ryusuke lui opposa une réponse qui le surprit beaucoup : ce n’était pas une question de pattern, mais de leurre.

Voilà qui a de quoi surprendre. Alors que tous, David Dubreuil, Ryusuke ou moi-même, ne cessons depuis des années de vous rabâcher que le leurre est secondaire dans une stratégie de pêche, que le pattern est le seul élément déterminant à garder à l’esprit, voilà que sa réponse dérogeait radicalement à ce credo !

img_4431Je ménage un peu le suspens en gardant l’explication pour plus tard. Voilà une seconde anecdote : nous étions Manu et moi-même pêchant un grand lac, dans un cadre relativement similaire à celui de la finale : une vaste étendue enherbée où les poissons, dispersés et soumis à une lourde pression de pêche, s’alimentaient avec la plus grande circonspection. Et comme au deuxième jour de la finale, un pattern qui peine à se dessiner complètement… Nous savions où pêcher, nous savions aussi que les poissons se tenaient tapis dans les herbiers et n’en sortaient qu’une seconde pour intercepter un leurre rasant les cimes, mais chaque leurre accepté une première fois ne produisait plus aucun autre poisson. Nous avions donc bien là un pattern constitué à soixante-quinze pourcents, mais incomplet du fait que nous n’arrivions pas à en cerner les conditions de reproductibilité.

Nul ne voyage incognito

Sauf que cette fois, et forts de l’expérience de Manu lors de la finale, nous avons bien vite compris ce qui se passait : en fait, tout leurre présentant une impression de déjà-vu aux poissons était systématiquement refusé. Il est d’ailleurs étonnant de constater comme les poissons, surtout stressés, ont une perception large et complète de leur environnement. Comme si la signature présentielle d’un leurre, comme ses vibrations ou sa masse, était ré-identifiée avec une netteté redoutable par les poissons. Quelle était alors l’astuce ?

Elle était toute simple : changer de leurre tous les trois ou quatre lancés. Cela peut sembler dingue, mais nous n’aurions pu compter le nombre de touche au premier lancer, et je ne peux que vous jurer qu’après sept ou huit lancés, il était tout simplement impossible de déclencher une attaque.

Bing bang théorique

Je pêchais au 3D Rattle Shad depuis un bon moment déjà, encouragé par le nombre important img_4734de touches que j’avais enregistrées avec. Mais voilà : si j’avais pris de nombreux brochets avec mon Rattle Shad, toujours était-ce sur des postes différents. Or, nous étions maintenant installés pour de bon sur un secteur, et si dès mon arrivée mon Rattle Shad m’avait rapporté un poisson, j’étais maintenant « toucheless » tandis que Manu s’agaçait de ne pas trouver quoi faire. C’est alors qu’il s’empara dans ma boîte d’un Effzett Catfish. Premier lancé : bing !

Bing mais voilà : ce sera son seul poisson. Dans son agacement, il se saisit alors d’un Kick-S Minnow 25cm. J’étais sceptique parce que beaucoup de pêcheurs usant et abusant de shads à palette, nous savions que les brochets répondraient mal aux palettes. Mais au deuxième lancé, il était attelé à un jack…

Manu tenait donc le pattern. Ou plutôt : en laissant le pattern insaturé, il en trouva les conditions d’application. Mais avant d’entrer dans l’analyse de ce pattern à trous, laissez-moi vous narrer une dernière anecdote, où j’étais cette fois en compagnie de Ryusuke.

Laisse pas traîner ton fil

Nous étions sur Orellana, en Espagne, toujours à traquer le brochet. Un peu comme lors de ma précédente anecdote, nous prenions des brochets, mais jamais plus d’un ou deux par poste, généralement au premier lancer. Nous n’avons pas tenté de changer de leurres régulièrement, mais simplement pris le problème par l’autre bout : le powerfishing. En ratissant large, en parcourant beaucoup de terrain, nous avons ainsi pu prendre de nombreux brochets, tout simplement en ne nous interdisant pas d’abandonner un secteur pourtant apparemment productif. Vous comprenez en effet que si les poissons craignent la répétition du passage d’un même leurre, cela revient au même de changer de leurre et de changer de poste. Le powerfishing est donc une alternative au pattern à trous, ou, si l’on préfère, le pattern à trous est l’alternative au powerfishing, sa figure renversée.

img_4769Mais l’histoire ne s’arrête pas là, puisque nous finîmes par localiser un secteur particulièrement riche en poissons. Toutefois le problème revenait : si en changeant régulièrement de leurres nous déclenchions des touches, il n’en restait pas moins que les touches continuaient de s’amenuiser. C’est alors que nous croisâmes sur le lac Matthieu Schottler, qui nous délivra une information précieuse : les brochets du lac sont tout spécialement apeurés par le bruit de l’impact répétés des leurres sur l’eau. Son propos était extrêmement crédible, et collait parfaitement avec nos observations, même si notre compréhension du phénomène était entièrement rétrospective. Que croyez-vous alors que nous avons fait, Ryusuke et moi ?

Nous avons pêché à la traîne ! Canne en main, en se déplaçant à l’électrique, nous avons promené nos leurres sur toute la surface du secteur, et bon sang : on en a pris ! Je ne suis certes pas un grand amateur de pêche à la traîne, mais ici le trolling se justifiait par le pattern — et puis il faisait vraiment très chaud. Bref.

Le leurre flottant

Ces trois anecdotes nous ont appris plusieurs choses : que le pattern à trous est la figure opposite et complétive du powerfishing, et qu’il existe une configuration telle, que le pattern trouve sa meilleure efficacité dans son incomplétude.

Insaturé, le pattern à trous consiste à laisser flottante la donnée « leurre », pour lui substituer img_6587une stratégie restreinte de junkfishing. Le pattern à trous est donc un junkfishing délimité par des éléments de pattern, comme la localisation, le comportement supposé des poissons ou l’action souhaitée des leurres. Mais la forme, la vibration, la taille ou la couleur du leurre ne sont pas fixées une fois pour toute.

Et si vous êtes un jour confrontés à cette situation, si vous appliquez le pattern à trous, vous serez sidérés de constater que vous pouvez prendre un brochet avec un coloris naturel perche, puis le lancé d’après avec un coloris perroquet hyper flashy. Pour peu que vous évoluiez à la bonne profondeur, vous prendrez un poisson au crankbait puis un autre en linéaire, mais peut-être aussi un sur le fond puis un autre en surface.

Tout se passe comme si, dans ces situations, les brochets veulent chasser mais, craignant pour leurs babines, préfèrent déroger à leurs tropismes plutôt que de risquer une piqûre. Des impacts de leurre en surface en répétition indiquent que la zone est menacée, le passage du même leurre, bien loin de susciter leur agacement ou leur curiosité, les inquiète. Tout au contraire, un leurre venant de loin et non tombé du ciel, qui présente une allure inédite, va avoir tendance à les rassurer.

Si vous m’avez suivi, cela signifie qu’il vous faudra privilégier des leurres et des approches permettant de lancer loin, très loin au-delà des poissons. Mais encore une fois, il vous faudra surtout changer régulièrement de leurres — ce sera alors un pattern à trous que vous exploiterez — ou de poste si vous préférez une tactique de powerfishing.

 

 

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