Qu’est-ce que le trashfly ?

« Trashfly », que j’ai quand même bien envie de traduire par « mouche à merde », est un peu le chaînon manquant entre le street fishing et la mouche. C’est disons une pêche à la mouche qui serait tombée entre les mains de vilains urban fishers. Imaginons un grand air d’opéra remixé par des DJ un peu fous, un peu déjantés. C’est cela, le trashfly ! D’ailleurs, il est préférable de ne pas y mettre de majuscule ! Car trashfly n’appartient à personne : ce n’est pas une marque, ce n’est pas une obédience, c’est juste le rejeton un peu bizarroïde de notre époque.

lucilia_caesar01« Trash » est en anglais ouvert à une importante polysémie : « poubelle », « bêtise », « racaille », « saccager », « vandaliser », « va-nu-pied », mais il est utilisé en français de manière un peu plus méliorative comme ce qui revêt un caractère de scandale. La vérité est entre les deux. Comparé à la pêche à la mouche, le trashfly a cet aspect qualitativement moindre qui fait la différence entre la mouche de mai et la mouche à viande, mais du point de vue de la pêche aux leurres c’est juste une régularisation de l’univers mouche, une sorte de redescente sur terre.

img_5974C’est en outre un objet bâtard, tout à la fois de la mouche et du leurre, et ni l’un ni l’autre. Quand je pêche trashfly, je n’ai pas l’impression de pêcher aux leurres, et ça ne me rappelle pas non plus mes expériences de moucheur. Mais indéniablement, il y a une canne à mouche, une soie, une queue de rat, sauf que cette fois ce que tu mets au bout de ta ligne, c’est sans équivoque un leurre, mais au sens originel de la fauconnerie. Je sais bien qu’une mouche est un leurre, mais c’est un leurre comme on dit qu’un chat est un félin. Si bien que si une mouche est un leurre, un leurre n’est pas une mouche. C’est cela que change le trashfly : les leurres deviennent des mouches. Par exemple, j’utilise beaucoup les Mayfly Nymph de Savage Gear ou des micro-jigs, qui deviennent un jeu d’enfant d’utiliser.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que « leurre » est une catégorie lexicale très générale, à laquelle on peut certes subsumer la catégorie mouche, mais cette taxinomie une fois confrontée à l’action de pêche, elle se dissout d’elle-même en quittant le registre strictement langagier : il y a d’un côté le leurre, de l’autre la mouche, comme il y a les chats et les lions. Le trashfly se situe quelque part entre deux concepts. Mais ce n’est pas du streamer pour autant. La pêche au streamer est une composante irréductible de la pêche à la mouche. A un certain point de vue, et même si nous utilisons des streamers, le trashfly est l’antithèse du streamer : tandis que le streamer occupe un écart entre la mouche et le leurre, le trashfly pense en permanence leur synthèse. C’est en cela que c’est novateur.img_5957

C’est très décalé, c’est même un pas de côté. Dans la pêche aux leurres, la limite se situe à l’endroit des possibilités techniques du leurre. Dans la pêche à la mouche, elle se situe dans les conditions de possibilité du lancé. Pour un leurriste, s’il existait un poisson-nageur capable de vraiment exciter l’agressivité des hotus, on les pêcherait volontiers ; à la mouche, l’appât, quoique artificiel, doit en quelque sorte se fondre dans l’alimentation naturelle tout en répondant aux réquisits de la gestuelle du fouetté. Beaucoup de points dans la démarche du leurriste et du moucheur se recoupent, mais une polarisation importante demeure, ce qui contribue à minimiser les accointances entre ses deux techniques.

img_5956Le trashfly quant à lui ne fait pas de différence entre l’agressivité et l’alimentation, l’imitatif ou l’incitatif, le leurre ou la mouche, le lancé et ce qui est lancé. Pas davantage il ne fait de distinction d’espèces : on ne se contente pas de dire qu’on pêche ce qui peut mordre à la technique qu’on a choisi, on part du postulat que toutes les espèces doivent se faire prendre à notre ligne. Or, c’est dans cette optique que le trashfly a développé sa technique propre : la canne à mouche n’intervient pas pour compliquer l’action de pêche en l’anoblissant (ou l’anoblir en la compliquant), mais pour restituer à l’action de pêche son amplitude maximale.

fullsizerenderA vrai dire, la seule espèce qui soit un peu dévalorisée par le trashfly, c’est la truite. C’est un poisson pour moucheurs, ça, la truite… ça ne nous concerne qu’à la marge. A la limite, une belle arc bien agressive et bien combative, mais une fario, franchement… De toutes façons il n’y en a pas là où nous pêchons le plus souvent. Et où pêche-t-on ?

Au plus facile ! La petite rivière dégueulasse en bas du bureau, l’étang où les carpes lèchent la surface, le parc municipal quand la police du même nom est absente, le canal, le fleuve, le port. Partout où il y a du poisson… Chevesnes, hotu, carpe, bass, perche, brochet, ide, poisson rouge, carassin, poisson-chat, gardon, brème, mulet… Cela s’explique en premier par la boîte de leurres : on y trouve de tout, jusqu’à de la mousse flottante pour carpistes, qui sert à faire des imitation de bouts de pain ! Le mulet, par exemple, qui est totalement délaissé par nos techniques parce qu’elles répondent mal aux attentes de ce poisson, se trouvent soudainement être à nouveau la cible de l’action de pêche. Et je te promets qu’un mulet au bout de la ligne, c’est autre chose qu’un sandre de quarante !

J’ai envie de dire que le seul point commun qui subsiste avec la mouche est la canne à mouche. Pour le reste… On fouette très peu, ceci en particulier grâce à de nouvelles soies développées pour les cannes à deux mains, et dont la densité nous permet d’effectuer des « roulés » sans effort. De toutes manières, on déploie très peu de soie. Il n’y a aucune valorisation de la gestuelle. De plus, l’un des principaux intérêts d’une telle pêche est qu’on pratique le plus souvent à vue. L’apprentissage est donc immédiat, bien plus rapide qu’en baitcasting. C’est d’ailleurs très instinctif pour les enfants. La polyvalence de la canne à mouche va te permettre d’augmenter considérablement le panel de leurres que tu vas pouvoir employer. Avec un seul ensemble, une même soie et une seule queue de rat, tu vas aussi bien pouvoir attaquer les chevesnes en août avec une imitation de fourmi ailée (qui ne pèse à proprement parler rien), que les perches avec des streamers de dix grammes. Concrètement, le trashfly, c’est une évolution, une amélioration des potentialités du streetfishing et surtout du finesse fishing. img_3760

J’ajouterais qu’en spinning, il devient ingérable de descendre en dessous de 18centièmes en fluorocarbone. Or, le seuil de confiance des chevesnes et des bass très pêchés commence à 14centièmes. Avec une canne à mouche, tu peux descendre jusqu’à 12centièmes et gérer efficacement ton combat, car le blank est vraiment très souple. Il est beaucoup plus facile de sortir un chub ou un black-bass d’un kilogramme avec un 14centièmes et une canne à mouche, qu’avec un 20centièmes au bout d’un tambour fixe

Nous n’avons pas besoin de dérouler quinze mètres de ligne sur des plats où les poissons sont hyper méfiants, encore une fois être un bon fouetteur est donc un peu superflu. Bien sûr ce peut être un plus, mais nous préférons celui qui tentera un poisson scabreux en escaladant un muret à celui qui va se la jouer Brad Pitt devant le lycée Carnot. Ca s’appelle trashfly, pas « I believe I can fly » !

Et puis… plus de fermeture ! La pêche est ouverte toute l’année ! Il n’est nullement interdit de pêcher à la mouche en deuxième catégorie pendant la fermeture (à condition que ce ne soit pas avec un streamer), et rien n’interdit non plus de pêcher les cyprinidés avec des imitations de maïs ou de pain en avril ! Le trash fly, c’est le nexus de lignes de fuite à l’intérieur de la réglementation française. Le pêcheur devient à la lettre autonome : il applique sa propre légalité, c’est-à-dire son éthique. C’est une libération de l’éthique.

img_3768Quant au look, il est disons « after work fishing ». Je dirais casual. On ne porte évidemment ni gilet vert, ni botte, ni surtout chapeau à plumes (Dieu nous en préserve !), mais on ne cherche pas non plus à se looker, sinon comme tout un chacun est looké dans sa vie de tous les jours. Il n’y a pas de revendication esthétique en tant que telle. Trashfly, c’est l’histoire d’un type qui va à la pêche… et l’histoire pourrait s’arrêter là.

Cela donne le sentiment d’un retour aux origines de la pêche aux leurres. Je retrouve intactes et comme réveillées d’un long sommeil des sensations qu’un raffinement permanent de la pêche aux leurres avait quelque peu ensevelies. Et puis, il y a dans le trashfly un aspect anti-business, un peu anticonsumériste, qui ne me déplaît pas.

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J’ai en effet une éponge Scotch Brite dans mon attirail… En fait, nous nous en servons d’un bout d’éponge comme leurre après avoir balancé quelques morceaux de pains à des carpes ou des mulets. Il y a un jeune streetfisher il y a quelques temps qui s’était fait remarquer de cette manière. On lui a juste piqué son idée. Mais… imagine quel pied constitue ce retour à la simplicité, presque à l’enfance : trouver n’importe quelle parade pour prendre un poisson, n’importe quel poisson, c’est quand même super fun !

L’éponge Scotch Brite, des imitations pour la carpe comme les grains de maïs Artbait de Prologic, des leurres comme la Mayfly Nymph Savage Gear ou la Woodloose Illex, mais aussi de vraies mouches comme l’assortiment Forrester Fly de DAM, et d’autres grands classiques comme le Tungstène Montana, etc. Il y a aussi des trucs vraiment cool comme la Furimsky’s Bugskin Flatfish ! Reste que des worms et des petits senko, et bien ça marche très bien aussi. Le streetfishing est soluble dans le trashfly.

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Les leurristes ne seront donc pas dépaysés ! Par exemple, l’avantage des petits morceaux d’éponge, c’est qu’on peut leur balancer un petit coup d’attractant… J’ai donc demandé à Stéphane Gonzalez de me dégotter un complexe d’acides aminés de chez mes potes de Déesse Bait. Et puis j’ai envie de dire que tout est permis : amorcer avec du pain, des pellets flottants ou non, du maïs doux, etc., aucune pêche n’est parfaitement étrangère au trashfly tout simplement parce qu’il s’agit là de l’acte de pêche le plus simple, le plus enfantin, parce qu’il mime justement l’acte de pêche des enfants. En fait, avec le trash fly, tout est possible. Avec un copain, on a bossé la confection d’un petit bout d’algue synthétique pour les mulets, et dans le fond la seule limite, c’est votre imagination. Mais enfin, si déjà vous sortez de votre panoplie tout ce qui est suffisamment léger pour être lancé avec une canne à mouche, y compris de petits poppers, vous aurez de quoi vous s’amuser !

Il ne faut donc surtout pas vous imaginez qu’il y aurait un secret, un mystère protégé par ici. C’est d’une simplicité déconcertante. Il y a par exemple un truc qui me plaît bien, c’est de draguer dans le courant des petits propbaits pour prendre les chevesnes. Absolument dingue ! Et je rêve d’être invité dans un plan d’eau à carpes pour ferrer une mémère que j’aurais fait mordre à vue. Je suis encore un grand débutant, mais il n’y a pas un endroit en France où il n’y a pas quelque chose à faire en pêchant de cette manière. C’est aussi universel que la pêche au coup

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3 Commentaires

  1. Bonjour numa,
    Vraiment sympa cette description du trashfly. C’est un peu le type de pêche que je pratique, j’appelais ça le streetfly.
    Par contre il y a un point ou je ne te suis pas trop.
    je te cite:
    « Et puis… plus de fermeture ! La pêche est ouverte toute l’année ! Il n’est nullement interdit de pêcher à la mouche en deuxième catégorie pendant la fermeture (à condition que ce ne soit pas avec un streamer), et rien n’interdit non plus de pêcher les cyprinidés avec des imitations de maïs ou de pain en avril ! Le trash fly, c’est le nexus de lignes de fuite à l’intérieur de la réglementation française. Le pêcheur devient à la lettre autonome : il applique sa propre légalité, c’est-à-dire son éthique. C’est une libération de l’éthique. »
    Oui la pêche peut être ouverte toute l’année, mais tu ne peut employais des micro jig, propbait ou autre imitation de leurre?
    Seul l’imitation de mouche ou de pain peut être utilisée?
    Dis moi si je me trompe?
    merci

    • Oui, tout à fait. Il est évident qu’il est interdit d’utiliser des leurres pendant la fermeture du carnassier. Mais tu peux utiliser d’autres appâts, naturels ou artificiels, pour continuer à pêcher pendant la fermeture du carnassier. Tout simplement parce que tu n’es pas obligé de pêcher le carnassier.

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