Un pattern, c’est donc un schéma mental de pêche, nous l’avons dit dès la première partie de cet article.
Mais le pattern est différent de la stratégie (qui va s’appliquer à trouver ou à affiner un pattern) et surtout de la technique, qui est un simple élément du pattern. Par exemple, si deux pêcheurs montent sur un bateau avec l’intention d’explorer les parties les plus chaudes d’un lac avant de fouiller le cover, ils parlent d’une stratégie (dans laquelle on devine la nature du trousseau de patterns et l’ordre dans lequel vont être testés ceux-ci). Généralement la stratégie de pêche hiérarchise les patterns en fonction de leur plausibilité.
Si maintenant ces deux pêcheurs parlent de heavy texas pour exploiter le cover, ils parlent de technique, et seulement de technique. Par contre, s’ils s’épanchent au sujet des perches qui suivent les bancs d’ablettes dans les herbiers, et qui à la pointe du jour vont monter de la cassure pour profiter d’une luminosité parfaite, là ils sont à la lisière du pattern. Ils y seront tout à fait quand ils expliqueront quelles techniques ils vont appliquer à ce comportement supposé des poissons. Un pattern, ce serait par exemple de « pêcher lentement au minnow la bordure des herbiers où remontent les perches à la tombée de la nuit pour chasser ». On comprend donc pourquoi il y a presque systématiquement plusieurs patterns dans une même journée. Parfois même simultanément. Logique : plusieurs espèces de poissons = plusieurs comportement auxquels répondre. Un combo supplémentaire dans le bateau avec un swimbait coloris perche peut permettre de lever un pike au beau milieu de perches… Et même à l’intérieur d’une même espèce cohabitent différents patterns, simultanément. Des grosses perches tapies au fond sous un mur de perchettes, et il faut employer un leurre qui traversera rapidement cette infanterie tout en intéressant les mémères en dessous. Si un micro-jig en bordure intéressera quantité de bass petits et moyens, est-ce qu’il ne faudra pas pêcher la cassure en crankbait pour intéresser le big bass ? Il est donc important de rappeler que la plupart du temps il n’y a pas de pattern, mais des patterns. Et fort heureusement pour nous !
Imaginez maintenant une cible de tir à l’arc ou à la carabine. Des cercles concentriques qui vont représenter la marge d’erreur du pattern. Plus on s’éloigne du centre de la cible, plus le pattern est approximatif, plus on se rapproche du mille, plus il est précis. Eh bien, aussi surprenant que cela puisse paraître, à la pêche on ne cherche surtout pas à taper dans le mille ! Un bon pêcheur va au contraire chercher à affiner son pattern dans des proportions raisonnables. Disons qu’il est dans la cible, plutôt plus proche du centre que de la limite extérieure, mais sans trop s’en approcher non plus. C’est un peu comme si vous vous amusiez à faire tourner une bille dans un entonnoir, en équilibrant les forces centrifuges et centripètes de manière à vous approcher le plus possible du trou… sans jamais tomber dedans (c’est la limite de la métaphore de la boîte de nuit…). Pourquoi, vous allez nous demander ? Parce que cette zone intermédiaire correspond à la fois à des conditions normales de pêche, ni trop aisées ni trop difficiles, et à une amplitude nécessaire, un champ de possibilités suffisamment vaste pour y faire entrer un maximum de poissons et de leurs comportements.
Plus simplement, vous n’avez pas besoin, quand les sandres se nourrissent d’écrevisses, de leur proposer une imitation exacte de l’écrevisse dont ils se nourrissent. Une forme suffit, ou une couleur, ou une odeur. Le tube en est l’exemple parfait. Il se propose aussi bien d’imiter un vairon qu’une écrevisse… D’ailleurs, le fait même de pêcher aux leurres est une approximation fondamentale. Deuxièmement, et c’est sans doute le plus important : plus votre pattern est précis, plus il est vulnérable au moindre changement d’attitude des poissons. Il existe toutefois des situations où le mil de notre cible doit être atteint. Mais ce n’est pas souhaitable, nous le répétons. Ce sont toutes ces journées où la pêche est extrêmement difficile, trop difficile, et où l’on se sauve du capot qu’au prix de stratagèmes, d’efforts et d’essais harassants. Ce sont toutes ces fois où l’on rentre de la pêche en se disant qu’on est passé à un cheveu de la défaite, tout simplement parce que les poissons ne réagissaient qu’à un coloris sur un certain leurre très précis, et encore, avec l’animation adéquate sur un cover bien déterminé. Le reste du temps, fort heureusement, la marge de manœuvre est plus large. Cela dépend souvent directement de l’activité alimentaire elle-même. Et si on trouve le truc du jour, qui peut-être une animation, une couleur ou une forme, appliquée à une localisation des poissons, on peut en ajustant son pattern ou simplement sa technique tout au long de la journée capturer régulièrement des poissons. Mais il est vrai que le plus souvent, il y aura plusieurs patterns successifs, avec entre eux un lien logique qui aidera le pêcheur à les enchaîner.
Il arrive enfin que ce soit la « frénésie », qu’il suffise de balancer un leurre pour avoir des touches. Mais là encore on va chercher à affiner tout de même son pattern, de manière à optimiser le rendement de sa sortie, en nombre ou en taille de prises. Mais il faut bien se dire que le pattern n’est pas l’interprétation de l’activité alimentaire. Pêcher ne rime pas avec proposer de la nourriture. On joue sur l’ensemble des tropismes réagissant la vie des poissons. Et c’est sur cette toile tissée entre ces différents azimuts que sont : la recherche de nourriture, la reproduction, l’ensoleillement, le confort, la notion de territoire, etc., que le pattern (qui veut aussi dire « motif « en anglais) trouve sa place. Ainsi, cette zone médiane que cible le pêcheur en lieu et place du mil est une caractéristique de la pêche que le grand public a du mal à comprendre, et que le pêcheur débutant met un certain temps à assimiler (sans d’ailleurs en prendre jamais pleinement conscience). Oui, un spinnerbait ne ressemble pas à une proie connue ; oui, le buzzing ne renvoie à aucun phénomène naturel ; non, aucun poisson ne nage comme un jerkbait ou n’a la robe fire tiger, mais c’est tant mieux et c’est même ce que nous recherchons. En matière de pêche, l’analogie surpasse les notions de « ressemblant » et « identique ». Ce que nous faisons n’est pas un piégeage, un camouflage ou une imitation de la nature, mais l’expression d’un authentique langage. La pêche aux leurres comme langage. Nous sommes confrontés à des êtres, les poissons, dont nous ignorons à peu près tout de la perception qu’ils ont de leur environnement. Et nous essayons de communiquer avec eux via ce que nous appellerons plus loin des « messagers ». Grâce à ces messagers, nous arrivons peu à peu à partager quelques mots de vocabulaires en commun : « intrus », « proie », « perche », « chasse »…
Mais la pêche aux leurres exploite parallèlement ce périhélie du langage qu’est l’intentionnalité. Quand vous vous adressez à un étranger dont vous ne parlez pas ou très peu la langue, vous vous faites comprendre tout autant en mimant des attitudes, comme de colère ou la joie. Ou savez même exprimer la faim ou la fatigue sans sortir un son de votre bouche. A la pêche il en va de même, et nous nous servons de nos leurres pour faire passer des messages autant que pour susciter des réactions chez les poissons.